Dans la vieille faïence fêlée
Le thé – aussi jeune et frais
qu’un printemps d’avril.Sans bouger un cil,
le ciel tourne à l’orage.
Les premières gouttes
criblent déjà le parasol assoupi.Haut dans le ciel,
la ronde nuptiale des buses
s’élargit
puis s’efface sans bruit.Allongé dans le pré,
l’enfant dénombre les monstres
qui – peu à peu – dévorent l’horizon.Dans le cerisier desséché,
un seul vivant :
l’épouvantail à moineaux.Dans son cercueil de chêne,
le sourire absent de mon frère.
Juste une goutte de sang
au coin des lèvres.En son contraire
tout se dédouble ;
au sommet de l’échelle des vertus,
tu redescends par l’escalier à vices.L’enfant a grandi
et s’est en allé très loin.
Sa grand mère est morte
sans même qu’il le sache.Jouant dans la fenière
panique de l’enfant
tombé dans la mangeoire des vaches.Solitaire et silencieux
le fil des pensées – sans cesse –
se brise et se renoue.Assis sur ton coussin
tu cherches le chemin et la trace
de la simple sensation d’exister.Au troisième coup de gong
tu pars escalader
la plus lisse paroi de ton esprit.A peine les mains jointes
qu’elles s’impatientent déjà
de ne pouvoir plus rien saisir.Quand tu marches en silence
tu traînes ta lourde tête
comme le forçat, son boulet…La tension épuise,
la mollesse endort,
apprends la vigilance sans effort.Brassée d’herbes folles,
la chatte surveille un mulot,
aucun geste inutile.Les choses comme elles sont,
évidentes, simples, fugitives ;
voilà l’haïkuité véritable.Sans la sensation du vif
l’arrangement des mots :
une cloche fêlée
un tambour sans peau.Sous le kimono noir
oublies cette statue de plomb
qui refuse de vivre.Le petit enfant
souffle en riant des bulles de savon :
impermanence joyeuse des phénomènes.Seul avec toi – même
tu bavardes et soliloques :
il y a quelqu’un en trop !Les volutes d’encens
la vieille statue de bois :
des fêtiches sans âme,
hochets dans le berceau.La Sagesse est un rêve
que tu poursuis en rêvant,
mais il n’y a personne pour l’atteindre.Tu as beau t’abîmer les yeux
dans l’azur,
tu ne le verras pas
le Dragon Céleste !Monastère dans la brume,
le vent lit – il les mantras
quand les fanions sont tout délavés ?Inutile de le chercher,
l’instant présent ne se trouve pas ;
il advient – tout simplement – sans prévenir.Vif comme l’éclair
profond comme un lac de montagne,
l’instant présent
ne porte aucun nom qui le fige.Que la vie nous traverse
sans que nous résistions
en inventant des obstacles toujours nouveaux
pour briser son Elan.Simplement accepter
d’être l’instrument docile
de la Vie.Vieille mule chargée de reliques,
je m’épuise à traîner une carriole
qui ploie sous le poids des livres
que je n’ai jamais lus.Au dojo
même une mouche
hésite à rêver.Le Maître parle
du sommet de la montagne
juste un bras s’élève.Assis là, tout seul
je bavarde
avec n’importe qui.L’œil de la pensée
l’ombre d’un souvenir
suffit à le faire ciller.Quand le vent tombe
plus leste qu’un cerf – volant
où va l’esprit voler ?Devant le mur blanc
à peine assis
déjà l’esprit tricote.Dessous la fontaine
le moineau tout mouillé
furieux que je l’ai surpris.Sur le toit de brique
deux pigeons s’empourprent :
étreinte fugitive.
Philippe Duc-Maugé