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Précepte 4 : s’abstenir de dire ce qui n’est pas vrai (ne pas mentir)

La question est de savoir si c’est possible, parce que l’invitation des préceptes, c’est toujours la même histoire, on peut l’interpréter de manière absolue, rigoureuse, dure, ou bien avoir une attitude différente et parfois, peut-être, préférer mentir pour éviter un mal plus grand.

Le Zen a une culture assez précise là-dessus. Il dit : « Au moins se taire », ne pas dire ce qui n’est pas vrai, avoir recours à la ressource du silence. Je suis un jour tombé sur un proverbe bulgare : « Le silence irrite le diable ». C’est très intéressant ! Qu’est-ce qui nous fait tomber dans le non-silence ? Le diable est un ange déchu ; c’est celui qui divise. Toutes les pratiques qui divisent sont des pratiques diaboliques. Parler serait un peu diabolique, parce que cela procède de cette division. Je répète donc ce que je dis depuis le début : tous les préceptes, tous sans exception, sont toujours, non pas des choses qui viennent du haut, mais des sécrétions de la pratique. A partir du moment où j’en fais l’expérience, je suis confronté à : Qu’est-ce que je fais ? Quelle est ma conduite éthique ? Qu’est-ce que ressens intuitivement ? Où j’en suis ?

Le Zazen a cette vertu très précieuse, d’être ce baromètre intérieur. Quelle est ma météo ? Est-ce que je suis énervé ? Est-ce que je suis en paix ? Est-ce que je suis en tension ? Est-ce que je suis dans une forme d’insatisfaction ? Est-ce que je suis en colère ? Est-ce que je ne me sens pas bien ?

Peut-on vivre sans mentir ? Toute vérité est-elle bonne à dire ? Pas sûr ! Une vérité assénée à quelqu’un qui n’a pas la capacité à la recevoir, peut être éminemment destructrice. Est-ce qu’on montre une scène de tuerie à un enfant ? A la télévision, nous avons le CSA qui interdit des programmes aux moins de 10 – 12 – 16 ans. Il vaudrait mieux signifier que, dans l’organisation sociale, toute vérité n’est pas bonne à dire.

On est déjà en conflit avec cette invitation à ne pas mentir. C’est un débat très ancien, qui a opposé au XVIIIème siècle, Emmanuel Kant (Prusse 1724-1804) à Benjamin Constant (Lausanne 1767 – Paris 1830).

  • Benjamin Constant dit : « Tout homme n’est pas digne d’entendre la vérité, seul y a droit celui qui me respecte ». Il dit ça en pleine époque de la Terreur, lorsque Robespierre (Arras 1758 – Paris 1794) faisait couper des têtes à ceux qui ne lui plaisaient pas. Il constate que de nombreux suspects ont la vie sauve, grâce à la ruse, la tromperie, le déni. C’est à cette situation que se réfère Benjamin Constant, c’est-à-dire, « forcément entrer dans ce que l’on appelle la contextualisation ».
  • Emmanuel Kant dit : « Un mensonge est toujours méprisable, et c’est une morale qui ne souffre pas d’exception ». Dans Les fondements de la métaphysique et des mœurs, il écrit à propos de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse valoir principe de législation universelle ». Pourquoi dit-il cela ? Si tout le monde mentait à tout le monde, on ne s’y retrouverait pas ; le mensonge ne peut donc pas valoir principe de législation universelle.

Pour Kant, on ne peut pas mentir parce qu’on vivrait dans un monde faux et surtout dans un monde où on ne s’y retrouverait pas. Il est beaucoup plus rigoriste que Benjamin Constant. Pour Kant, le mensonge est toujours une faute répréhensible : « Par le mensonge, l’homme se rend toujours méprisable aux yeux d’autrui ; c’est un crime de l’homme envers sa propre personne ». Il n’y va pas avec le dos de la cuillère !

Arnaud Desjardins (Paris 1925 – Grenoble 2011), donne cet exemple à propos du mensonge :

Pendant la guerre il y a, d’une part des Allemands qui recherchent des Juifs, et d’autre part, un monastère catholique qui cache des Juifs. Un officier de la Kommandantur se présente un jour, et l’Abbé le reçoit sur le pas de la porte de l’entrée du monastère. Le dialogue suivant s’instaure :

  • Mon Père, j’ai confiance en vous parce que vous êtes un homme d’Eglise. Vous ne pouvez pas dire de mensonge. Cachez-vous des Juifs ?
  • Non, je ne cache pas de Juifs.
  • OK, je vous crois.

Et le Commandant s’en va. En fait, l’Abbé a menti. Le Commandant n’est pas dupe ni naïf, il sait que l’autre lui ment, mais dans son humanité il fait semblant de le croire. Dans le cœur de l’homme, même le plus pourri de chez pourri, il y a encore une parcelle d’espérance, de bonté et d’ouverture.

Kant s’entête et dit : « En faisant croire à ses ennemis un bobard, pas sûr qu’une personne puisse être sauvée ». Il y met cependant une nuance : « Rien ne nous empêche de nous taire ». Il y a quand même une porte de sortie !

Si mon voisin de palier me demande si je vais bien, je réponds oui, je réponds non, je réponds la vérité ou je réponds un truc convenu ? Rien ne m’interdit de lui répondre par l’affirmative, même si c’est faux, en lui taisant par exemple mes problèmes conjugaux ou une grave maladie. Je lui dis un bobard ! C’est une forme de mensonge, j’enfreins le précepte. C’est ça qui est intéressant : les zones à polémique ont été décisives de ma conduite éthique.

Notons que ce qui est à l’œuvre c’est la conscience. Est-ce que je peux croire de bonne foi à un bobard ? Est-ce que vous allez bien ? Oui ! Et mon intuition me dit que la personne ne va pas si bien qu’elle le dit. Peut-être qu’en effet, la ressource de la réceptivité silencieuse, est un guide plus authentique, plus précieux et plus fiable que ma réaction immédiate de catégoriser, parce que ça me rend inattentif de rentrer tout de suite dans le jugement ; c’est ce que j’appelle l’automaticité de la vidéo mentale. Donc, de ce point de vue-là, je deviens en fait sourd et aveugle, parce que je laisse parler mes automatismes, alors que la vertu du silence, engage à une forme de plus grande réceptivité et d’attention à l’intuition.

Mon maître Nishijima répétait souvent : « Nous ne faisons pas suffisamment attention à notre intuition » ! L’intuition est un exact équilibre, entre notre matérialité et notre spiritualité. Ce qui est à l’intersection de notre corps et de notre esprit, s’appelle l’intuition : « Je sens avec mes tripes ; mon mental me dit une chose, mais je vois qu’il me raconte un bobard ».

Mentir, c’est parfois éviter un mal plus grand. Par exemple, pourquoi en France, met-on autant de limites dans les recherches de paternité naturelle, alors qu’on a tous les moyens avec les études ADN, de savoir qui est l’enfant de qui ?

Apparemment, beaucoup de personnes pensent que leur père est leur père, alors que ce n’est pas toujours le cas. La légitimation légale, (avec une psychologie associée au législateur), c’est de considérer que, si on disait la vérité, cela ferait un tel bazar, qu’on n’aurait plus d’ordre social, ou en tout cas, un ordre social extrêmement dégradé. Il est donc bien préférable d’être dans le voile du mensonge, de la non-réalité biologique, parce que ce qui compte vraiment, c’est la famille, les sentiments, les liens, etc… Si ton intuition te dit : « Il y a un truc qui ne colle pas », tu fais quoi ?

Un exemple très parlant, est la législation des enfants nés sous X, qui avait été mise en place pour lutter contre les abandons d’enfants et les infanticides. Les pouvoirs publics avaient organisé des lieux d’accueil, avec l’Assistance Publique, pour que ces enfants puissent venir au monde dans de bonnes conditions. En 1988, j’ai été confronté au cas suivant :

  • Un couple de profs d’histoire-géo qui ne peut pas avoir d’enfant, procède à l’adoption d’un petit garçon. Tout se passe bien jusqu’à son adolescence, et là, ils lui disent qu’il n’est pas leur enfant biologique. Grosse déstabilisation du gamin qui veut savoir qui sont ses géniteurs. « On ne sait pas, tu es né sous X »… « Comment une maman peut abandonner son enfant » ? « On nous a dit que c’était une femme de ménage algérienne, on n’en sait pas plus ». Le gamin se révolte, fait un peu n’importe quoi, et se retrouve au Tribunal pour Enfants. Il dit : « Puisque vous n’êtes pas mes parents, vous êtes des cons. Ma mère m’a abandonné ; je n’ai aucun respect pour les femmes » !

On voit karmiquement, les effets par ricochet, pour le simple fait d’avoir dit la vérité. Il y a une forme d’irresponsabilité à ce moment-là, car on dit la vérité à quelqu’un qui n’est pas suffisamment mature pour la recevoir, et pensant bien faire en plus. Les parents adoptifs ne s’étaient pas du tout remis en question, mais par contre, ils avaient démissionné de leurs fonctions, et le fils était dans la toute-puissance : « Tu me donnes du pognon, je fais ce que je veux »… Donc, Tribunal pour enfants. Je leur dis : « Vous savez, ce petit garçon, vous ne pourrez le socialiser qu’à partir du moment où il aura une réponse à sa question : « D’où je viens » ? Pour la petite histoire, il a réussi par la suite à faire des recherches et découvert que sa mère biologique avait été séduite par un employé de l’Ambassade de Libye. Il s’est alors senti des racines avec le monde maghrébin qu’il s’est mis à fréquenter, et a appris les codes culturels qu’il pensait être en lien avec sa filiation authentique.

Pendant la plaidoirie, je me souviens avoir dit au Président du Tribunal : « Vous n’y arriverez jamais, vous aurez beau le sanctionner, tant qu’il ne connaîtra pas la vérité sur ses origines, il sera en révolte ». Le Président du Tribunal, un type bien, m’a répondu : « Vous savez très bien qu’on ne peut pas, parce que nous sommes tenus de respecter la législation sous X » (nous sommes en 1988). J’ai été assez heureux de voir que, 10 à 15 ans plus tard, avec cet épisode, on a ouvert la possibilité à ces enfants, de connaître leur filiation.

On voit combien la législation s’adapte avec un temps de retard : on a mis en place la possibilité de donner naissance sous X, pour pallier aux risques majeurs d’infanticide. Puis, étant donné que ces risques existent beaucoup moins, mais qu’il y a du désordre social du fait que les enfants veulent savoir d’où ils viennent, on ouvre la porte qui leur permet de connaître leurs origines. Le problème n’est pas simple !

Donc : idéalisme d’Emmanuel Kant pour les principes, et réalisme de Benjamin Constant pour les mains dans le cambouis de la situation concrète.

Faut-il légitimer le mensonge ? C’est une grande question ! Dans la vraie vie, s’interdire de mentir nous mènerait au suicide social et ferait de nous des criminels. Nous allons essayer d’approfondir.

Le plus souvent, dans nos relations sociales, nous portons un masque de conformité ou de compatibilité à une norme. Cela veut dire qu’on n’est pas vraiment nous-même. Une autre vertu associée à la pratique, c’est que l’introspection m’engage à m’interroger : « Quel type de masque je porte ? J’ai l’impression de vivre dans un monde de fou ». A un moment donné de son parcours on a ce ressenti très puissant : « Qu’est-ce que je fais là » ? Et on est bien obligé d’y retourner pour composer avec. La fracture peut être grande. Je vous donne une anecdote personnelle :

  • Lorsque j’ai été ordonné moine en France, à la Gendronnière, j’ai fait une sesshin assez longue, d’environ 3 semaines, juste avant la rentrée de septembre et la reprise de mon cabinet. Je recevais constamment des coups de fil pour telle ou telle affaire, et je me disais que je n’avais aucune envie de retourner là-dedans. J’étais tellement heureux dans cette atmosphère préservée, que le retour à la vie « normale » avec les obligations familiales et le boulot, était un véritable tiraillement, si bien que j’ai passé la dernière semaine à pleurer toutes les larmes de mon corps. Je ne savais pas quoi faire avec cette espèce de déchirement.

Où est la véritable authenticité ? Quand je suis dans cette atmosphère je me sens vrai, puis quand je retourne dans le monde « ordinaire », je me sens en distorsion, je suis obligé de mettre un masque, et de faire comme si « je m’asseyais dessus » mon être profond.

Peut-on vivre masqué dans ses relations, dans ce théâtre d’illusions, pour faire croire à « qui nous ne sommes pas » ? Sous cet angle, le mensonge serait plus efficace que la vérité.

A la morale rigoriste de Kant, répond l’utilitarisme du philosophe anglais John Stuart Mill (Londres 1806 – Avignon 1873) : « Si le mensonge, globalement, augmente la quantité du bien-être dans ce monde, cela le légitime. Si ça fait du bien, eh bien tant pis ! A ce moment-là, comment ne pas voir qu’on légitime toutes les propagandes ? Les phénomènes de foule et tam-tam, viennent altérer le libre arbitre critique. Il est compliqué de s’y retrouver !

Dans l’approche de John Stuart Mill, nous avons la pensée (légitimant le mensonge) qui ne se soucie pas de l’intention, mais du résultat, du fait de mentir. L’autre thèse : « Avant d’ouvrir la bouche, calculez le plus et le moins des avantages et des inconvénients ». Par exemple, si un mensonge peut tuer 4 personnes et en sauver 10, je n’hésite pas ; il en est de même, si je peux améliorer la vie de quelqu’un en le trompant. Vaut-il mieux une illusion dans laquelle l’autre est confortable, ou une vérité qui peut le détruire ? Il y a la posture du Serment d’Hippocrate « d’abord ne pas nuire », c’est-à-dire ne pas céder à sa réaction immédiate, peser le pour et le contre, et toujours cette vertu de la pratique, qui est la prise de recul par rapport à son impulsivité. « Je me pose, je regarde, avant de réagir ». En fait, c’est ce que dit la sagesse populaire : « Tourner 7 fois la langue dans sa bouche avant de parler ».

Il y a une thèse utilitariste : l’espoir fait vivre. Par exemple : « Je raconte à mon vieil oncle souffrant, que les médecins ont prédit une prompte guérison, alors que c’est faux ». Je sais très bien qu’il ne va pas bien du tout, mais je lui dis : « T’en fais pas, tu vas guérir », dans l’espoir que ça va le doper. Là, j’essaie de modifier son état d’esprit par rapport à la gravité de sa maladie ; ça lui évitera, peut-être de broyer du noir toxique, ça peut peut-être lui épargner des souffrances, et dans le meilleur des cas, peut-être que ça pourrait le guérir. Si je lui dis « Tu es foutu », les hormones de stress (cellules toxiques tueuses) s’affollent, mais si je lui dis « Tu as encore de l’espoir », les hormones de stress peuvent éventuellement ne pas être mises en mouvement. Il peut aussi ne pas me croire, et me dire d’arrêter de lui raconter des bobards.

Je peux être très brutal en tant que thérapeute en disant une vérité, et je la dois au patient, mais la manière dont je vais l’exprimer va tout changer. C’est pour cela que ne pas céder à l’impulsivité immédiate est une vraie pratique. Mieux vaut se taire que dire une parole inutile.

Dans le Tao te king on trouve la citation suivante : « Le général qui gagne une bataille est celui qui recule de deux pas ». Réaction immédiate : « C’est un lâche, il a peur ». En fait non, si je ne prends pas un temps de recul, j’ai forcément le nez sur l’évènement, et quand j’ai le nez sur l’évènement, les petites choses je les vois grosses, et les grandes choses je ne les vois pas. On peut voir l’influence du Taoïsme sur le Bouddhisme Zen. Tous deux prônent la nécessité d’un temps de pose, de prendre du recul, de ne pas avoir le nez collé à l’évènement, sinon on ne voit rien.

Je poursuis sur l’idée du vieil oncle malade. Le dopage des pulsions positives, va faire que ce mensonge légitimé va peut-être se métamorphoser en vérité. En lui disant : « Tu vas aller mieux », tous les ressorts de la psychologie positive sont au rendez-vous, ce qui est finalement l’aspect utilitaire du mensonge. Je ne suis pas dupe que tu ne vas pas très bien, mais mon secours c’est de te raconter un bobard. Je vous rappelle le sujet : « Ne pas dire ce qui n’est pas vrai ». Mais, comme disait Nishijima : « J’ai bien peur que les préceptes ne soient faits pour être violés ».

Par contre, lorsque des hommes appartenant à l’élite de la nation, chargés des comptes publics, affirment les yeux dans les yeux et malgré les preuves du contraire : « Je n’ai jamais rien fait d’illégal avec l’argent qui m’était confié », là on est au comble de l’ignominie.

Je vous propose un truc très joli que j’ai trouvé chez le grand psychanalyste Jacques Lacan (Paris 1901-1981) : « L’homme est un « parlêtre » : c’est la conjugaison entre parler, être et paraître. Le grand dada de Lacan c’était : « l’inconscient est structuré comme un langage ». Il a beaucoup écrit sur les jeux de mots et l’inconscient.

Parlêtre : on est dans une approche très intéressante, notamment dans l’Ecole du Zen qui dit : « On ne peut pas rendre compte avec des mots de la réalité telle qu’elle est ». Dès que je m’aventure à parler, quelque part, j’abîme, j’altère la réalité telle qu’elle est ». Jamais des mots ne rendront compte du goût du saumon fumé, c’est pareil pour le bon vin, même avec un sommelier génial, on ne pourra jamais parler de l’expérience personnelle des saveurs. Tenter même d’en rendre compte, est une forme de « ne pas dire la vérité ». Qu’est-ce qui est en jeu au niveau de la différence du régime ? La conscience et l’intention ! Parce que quand je parle, j’essaie de m’approcher au plus près de ce que ma bibliothèque de mémoire m’autorise d’expression, pour communiquer ce que j’ai reçu avec quelqu’un d’autre.

Est-ce que mentir, pour rendre la réalité conforme à ses propres désirs, est légitimable ? On voit qu’on peut légitimer le mensonge pour faire du bien, mais si c’est pour une visée personnelle, cela devient moralement douteux. Dans l’altérité, on peut éventuellement être dans la posture non rigoriste. En revanche, dans la visée personnelle, à qui ment-on ? C’est la différence avec le mensonge pour éviter un mal plus grand.

Comme vous le savez, je suis très inspiré par ce Chinois du VIIème siècle, Nieou-t’eou, qui a écrit Extinction de la contemplation. Nous avons le dialogue suivant :

  • Existe-t-il des causes et des conditions, permettant le mensonge ?
  • Si les paroles sont sans locuteur et les mots formulés sans donner existence à l’Esprit, alors la voix résonne comme la cloche, le souffle bruit comme le vent. Avec un esprit tel, même ce que l’on nomme Bouddha n’existe pas. Sinon, l’appellation même de Bouddha est un mensonge.

Qu’est-ce que cela signifie ? « Si les paroles……. » ; c’est parler pour ne rien dire. Et ce « parler pour ne rien dire » peut prendre la forme de ne pas être le reflet fidèle de la réalité ; on meuble. Même Bouddha, à ce moment-là, ça n’existe pas. Même l’appellation de Bouddha, à ce moment-là, est un mensonge. C’est assez sévère comme appréciation ! On revient toujours à l’Ecole du Zen : « Mieux vaut un silence qu’une parole inutile ».

Donc, s’aventurer à parler serait-il déjà un mensonge ? On peut verser dans la posture, et se taire tout le temps. Eric Rommeluère (1960 Paris) a suivi pendant assez longtemps, un maître Tokuda qui disait : « Moi je n’ai rien à enseigner, que le silence ».

Il y avait déjà ce débat à l’époque de Dogen qui dit : « C’est nul ! La voie du milieu ce n’est pas ça. Il y a des ressources dans le silence, mais comment expliquer aux autres » ? Le support de l’explication est la parole, mais en revanche, le critère est dans l’intention qui peut être :

  • Soit à des fins personnelles pour se faire mousser… Eh bien, non !
  • Soit pour expliquer aux autres ce que l’on a compris, dans une posture de sincérité. On approche de l’immense question de l’honnêteté. Qu’est-ce que la propagation de certaines informations, sinon des prises de pouvoir sur les fragiles ? Le charlatanisme est une prise de pouvoir pour inféoder les faibles.

Qu’est-ce que cette immense question de la sincérité et de l’honnêteté ? Il y a beaucoup d’enseignements dans le Bouddhisme, qui vont dans le sens de : « Soyez vous-même, soyez votre propre lampe ». Vivez votre propre vie ! Comme disait Oscar Wilde (Irlande 1854 – Paris 1900) : « Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris ». Parce qu’on se construit aussi par mimétisme, par modélisation.

L’Ecole Zen engage à se défaire de tout modèle, à retrouver ce qui serait un peu plus nous-même, et pas ce masque social. Ça vaut le coup d’approfondir cette question : « Quelle est la réelle sincérité » ? Au fond, il y a un truc intéressant : « Oser ses sentiments ».

Mentir, c’est manipuler, c’est mettre le monde à l’envers, c’est s’éloigner de la réalité. J’ai trouvé une expression qui me paraît vraiment juste : « Le mensonge, soustrait du langage sa puissance d’évocation primordiale quasi métaphysique, qui est d’assurer le lien sémantique entre ma parole et les objets ». C’est-à-dire qu’il est très important d’être au plus près de ce qu’évoque la parole par rapport à la réalité elle-même, tout en restant conscient qu’il y a déjà un décalage. Rien que de parler d’un sujet, déjà je simplifie. Ça vaut le coup de prendre un temps de recul, d’introspection, de silence intérieur, et tenter de faire coïncider la vérité profonde et sincère avec la qualité d’expression. Pas toujours simple !

J’aime bien la parole de Michel Rocard (Courbevoie 1930 – Paris 2016) qui dit : « La connerie est courante, le complot demande un rare esprit ». Il y a une différence entre le con qui dit une connerie (dont il n’est pas conscient), et l’intelligent qui manipule en faisant croire n’importe quoi ; moralement, il y a plus de choses à réprouver chez un manipulateur.

Est-ce que la plaisanterie, la connerie et le baratin sont des mensonges ?

Est-ce qu’on cache la vérité en ne disant rien ?

Quels sont les degrés de mensonge tolérables, pour le bon fonctionnement d’une société, alors que ce fonctionnement est fondé sur la qualité et la relation entre les êtres qui se tiennent les uns les autres, par la communication et le partage d’informations ?

Mentir : dire le faux en connaissant le vrai, avec l’intention de tromper. Il y a aussi : dire le faux en connaissant le vrai, ou croyant le connaître, c’est-à-dire en se parant de qualités que l’on n’a pas.

Quid de l’exigence de transparence ? Là encore, l’Ecole chinoise est merveilleuse : « Comment peux-tu voir le fond de l’eau, si tu passes ton temps à troubler la surface » ? Lorsque nous sommes dans l’impulsivité de réactivité immédiate, nous troublons la surface et ne sommes pas dans la profondeur. Encore une fois, la pratique de la verticalité silencieuse est une véritable ressource.

Equivoque, ambiguïté, faux-fuyant, détournement de l’attention : on n’est pas vraiment dans le mensonge, mais cela se pourrait bien… Il n’est pas sûr qu’une réponse ambivalente soit une réelle communication !

Le mensonge altère la confiance et entraîne en fait, une rupture de réelle communication. Le Zen dit : « corruption du lien entre pensée, langage et monde ». Comment faire coïncider la pensée, le langage et le monde, sans nuire à autrui et sans se parer d’un masque de vertu que l’on n’a pas ? Dans le Zen, il y a une magnifique phrase qui parle de la communication qui peut être dans un regard, en respectant le silence.

Ishin Denshin est une expression japonaise qui signifie mot à mot : « La transmission de mon cœur à ton cœur, de mon âme à ton âme, de mon esprit à ton esprit ».

C’est ce qui se passe au moment de la transmission des préceptes.

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