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Précepte 3 : aider tous les êtres, comme soi-même (suite)

Avant d’aider les autres, on va commencer par « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Que peut bien vouloir dire, « s’aider soi-même » ? Commencer par soi avant de vouloir sauver le monde…

Un bruit inconnu vient troubler l’assistance : La poutre s’effondre ? C’est super intéressant à observer. J’entends un bruit insolite, mon système nerveux sympathique se met en route. C’est-à-dire, je projette un danger, et à ce moment-là, j’ai une décharge d’hormones de stress qui s’appellent « Adrénaline », « Noradrénaline », « Cortisol », « Interleukine », qui sont, à hautes doses, des cellules tueuses. Et si je laisse promener mon mental sans le contrôle de la raison et de l’intelligence, je vais amplifier le phénomène, ça va m’envahir, et ça va, à haute dose, me flinguer. C’est pour cela, que les histoires de réduction du stress, sont aussi essentielles à mes yeux. C’est pour le coup, potentiellement, sur une fausse information. Heureusement que j’ai mon radar « poste de pilotage » qui vient dire : « Bon, c’est le frigo ! » Après, je suis très imaginatif, je peux dire : Photo ! Cela veut dire que je vais anthropologiser un son qui est peut-être juste le fruit d’un court-circuit ou d’un parquet dont le bois travaille (Ahhh ! La maison est hantée !). Je suis dans le schéma de ma vidéo mentale interprétative, très réactive, qui va classer ça dans ma bibliothèque de mémoires, en fonction de ma culture (de mes propres lunettes de préjugés).

S’aider soi-même… Il y a une illustration très connue dans les écoles bouddhistes en général : « Je me promène au crépuscule dans la jungle ou dans la forêt profonde un peu inquiétante, et horreur ! Il y a un gros serpent. Mon cœur bat à 100 à l’heure, c’est comme si je voyais un gros crocodile ouvrir sa mâchoire… Je vais mourir… Après avoir été submergé par la terreur, je la laisse passer, et je trouve mon salut dans la fuite… Je peux aussi faire un petit effort en essayant de regarder cette chose, et je m’aperçois, au fur et à mesure que je m’avance, que c’est une liane ».

La leçon parle d’elle-même. Je me suis fait un film pour quelque chose qui n’existe pas. Je me suis fait du stress pour une vidéo mentale qui est un monde de mirages. S’aider soi-même, c’est déjà réaliser ça. La technique efficace, connue à ce jour, pour nous enseigner cela, ce peut être soit la rencontre avec des enseignants, soit observer son propre fonctionnement intérieur, à la fois psychologique, mental et physiologique.

On commence par s’étudier soi-même. C’est un grand classique gréco-latin, inscrit au fronton du Temple de Delphes : « Etudie-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». C’est en soi une immense tâche, parce que « Je suis moi-même un fichu putain de mystère » M’étudier moi-même… Dur… Dur… Je peux avoir besoin de beaucoup d’aide, de l’autre, parfois de psychothérapeutes, de psychanalystes, parce que j’ai du mal à me comprendre.

Cette maxime première, dans la culture gréco-latine du Bassin méditerranéen, est très juste. L’introspection personnelle visant à essayer de se comprendre, peut constituer en soi une vie entière d’apprentissage. On peut aussi ne pas le faire, parce qu’on est davantage intéressé par les jeux vidéo ou les matchs de foot avec une bière…

L’étude de soi est une première étape. Ce qui est génial, c’est que l’école du Zen de Dogen dit ceci : « Etudier la voie, c’est s’étudier soi-même ». On retrouve exactement la même invitation. Les gréco-latins s’arrêtent là, mais Dogen va plus loin, parce qu’à force de s’étudier soi-même on va projeter des idéaux, et c’est ça l’écueil ; on va rester centré sur soi et comme ça ne suffit pas, on va construire, comme Don Quichotte, des châteaux en Espagne et des moulins à vent. C’est pourquoi Dogen a un contre-feu : « Etudier la voie, c’est s’oublier soi-même », c’est-à-dire c’est se décentrer de son « moi-moi-moi ». S’aider soi-même, nous allons le voir, c’est apprendre à se décentrer. La méthode : on commence par l’observation un peu entêtée, patiente, de nos perceptions sensorielles.

L’aspect un peu moins sympathique de cette pratique, c’est que cela fait parfois mal aux genoux, on traverse des moments avec des fourmis dans les jambes, des vieilles douleurs qui se réveillent, et la consigne (comme on voit les autres ne pas bouger), c’est de se dire : « Il ne faut pas que je bouge ». Eh bien, bougez ! Ne vous interdisez pas ça ! Si vous sentez qu’il y a quelque chose qui vous tire, détendez-le, croisez les jambes. Nous avons des spécialistes de malaises vagaux pendant les retraites ; ils tombent dans les pommes, mais ce n’est pas très méchant, on leur met les jambes en l’air et ça repart. C’est simplement le nerf vague qui n’est pas aussi tonique quand on est un peu fatigué, qu’on n’a pas assez dormi, qu’on est trop stressé ; en fait c’est une grosse fatigue. Acceptez aussi cela !

L’idéal de perfection, n’est pas de dire : « Ne pleure pas » ou « Fais un effort », ce qui est très tyrannique, mais : « Accepte-toi tel que tu es, sois bienveillant avec toi-même ». On est vraiment au cœur du sujet ! Tendresse, amour… mais plutôt tendresse, car amour c’est tellement connoté et chargé de tout un tas de machins… Disons donc tendresse : « Oui, j’ai mes limites, et ce que l’on m’a inculqué comme projection idéale, c’est pesant ».

La pratique de s’aider soi-même, ce n’est pas de s’apitoyer sur soi, (parce que là, on va tomber dans une autre posture), pas forcément non plus de rentrer dans la complaisance, mais de s’examiner avec douceur, y compris les zones d’ombre et de fragilité, les imperfections. C’est en soi un vrai boulot, parce qu’en général, on dit aux petits garçons, « Un garçon ça pleure pas ». Mais pourquoi ? Quel est le fondement de ça ? Ce n’est pas très rationnel ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre ? C’est une espèce d’image stupide du viril, gladiateur, conquérant, musclé… Il y a plein d’images comme ça et si t’es pas conforme, toi, en tant que bonhomme, ça donne des dérives effrayantes, comme tous ces gens qui passent du temps à se faire du bodybuilding et qui font des concours de muscles… Et en plus, c’est d’une laideur !!! Ce n’est même pas esthétique et on sent que ça souffre ! Du coup, on éprouve de la tendresse dans le sens de compassion, pour ces personnages qui sont mus par une sorte d’image, et qui doivent être dans une immense souffrance, quand leur corps, par nature, se dégrade.

L’histoire d’observer, puis de s’accommoder de ce qui change, et le regarder avec douceur et bienveillance, est un grand réconfort pour soi-même. C’est une pratique extrêmement intéressante : « Ouf, je ne suis pas parfait ! » On y gagne un espace immense de liberté et de regard apaisé, parce qu’il n’y a plus de conflit interne dans ce système-là. Dans le monde du travail, regardez combien il y a des modèles. J’ai donné l’exemple de bodybuilding, parce qu’il y a l’histoire de cette espèce de testostérone « On ne pleure pas quand on est un garçon », et après il y a les images associées de féminité, de modèle qui change avec les époques. Les canons de la beauté féminine chez le peintre néerlandais Rembrandt (Pays-Bas 1606-1669) c’est : la peau blanche (les bronzés ce sont ceux et celles qui travaillent dans les champs), et formes opulentes, sans oublier la cellulite. Ses tableaux de femmes, ce sont des tableaux avec de la cellulite ! Le modèle socio-culturel actuel c’est l’horreur de la cellulite, ce qui fait le bonheur de l’Oréal qui fait du pognon avec ça !

Avec le marketing anti-cellulite et anti-rides, anti-vieillissement, on voit combien cela peut être des injonctions extraordinaires, dont la société dite de consommation se repaît au jour d’aujourd’hui : on n’accepte pas ses cheveux gris, on n’accepte pas sa cellulite… Eh bien, si, soyez apaisés avec ça, soyez complaisants, soyez souriants, c’est-à-dire mettez un gros bras d’honneur aux diktats. « Ces diktats, je n’en avais pas conscience ; je me rends compte qu’il y a un diktat là, et qu’il s’est intégré dans ma tête, il s’est figé dans une espèce de référencement un peu bête, insuffisamment pensé, insuffisamment examiné. Après tout, j’obéis à quel type de diktat, là ? J’en suis où ? ». Puis, la pratique du Zen, va vous dire : « Au fond, qu’est-ce que tu en as à faire ? Qui t’interdit quoi ? »

Nous avons une forme d’intelligence intérieure qui est cette tour de contrôle. Contrairement à l’idée que le Zen consiste à évacuer ses pensées, le Zen consiste à se rendre confiant, encore plus sensible, attentif…

J’aime beaucoup la phrase d’une philosophe du nom de Simone Veil (Royaume Uni 1909-1943) : « L’attention est la forme la plus pure et la plus élevée de la générosité ». Ici, il y a tout un enseignement sur l’histoire du don, le fait par exemple, de donner un sourire, de donner du temps, de donner de la disponibilité. Où en sommes-nous de nos pratiques d’attention, par rapport à nos pratiques ou non-pratiques de distractions, de rêvasseries, ou de ce qui peut obstruer cette conscience ? Où est cet obstacle à s’aider soi-même ?

Nos perceptions sensorielles, ont cet intérêt majeur de nous relier directement, tout de suite, à ici et maintenant. Et je le répèterai jusqu’à mon dernier souffle : « Ici et maintenant est notre véritable domicile », notre lieu d’habitation, notre chez-nous ». Et cet « ici et maintenant » dont on parle beaucoup, on l’habite assez peu finalement ! Et on l’habite encore moins, aussi longtemps qu’on est investi fortement de vidéos mentales idéalistes, ou de trucs tout faits auxquels on adhère sans savoir pourquoi. Donc, cultivez, pratiquez vos perceptions sensorielles, les cinq sens, « Je ressens, je touche, je respire les odeurs, je goûte, je prends le temps, je regarde ».

Il existe paraît-il à Paris, un restaurant, où l’on mange dans le noir. Ce doit être une expérience assez déroutante, de chercher son couteau, sa fourchette… « Si je me mettais à la place d’un aveugle, comment ce serait ? » Je ne me rends compte de ce qu’il y a de merveilleux dans mes capacités sensorielles, que lorsque j’en suis ou m’imagine en être privé. C’est un peu comme quand on suit un cercueil : « Je n’ai pas pris le temps de prendre du temps avec cette personne qui n’est plus »… « Si j’avais su que je l’aimais tant, je l’aurais aimé davantage » disait Frédéric Dard (Bourgoin-Jallieu 1921 – Suisse 2000).

C’est dommage que l’on ait besoin de fonctionner par contraste, pour s’émerveiller d’un être ou d’une faculté que l’on a perdue ou que l’on risque de perdre : « J’ai besoin de m’imaginer aveugle, pour vraiment prendre conscience à quel point mes yeux sont extraordinaires. C’est une expérience intéressante, parce que, comme disait Nagarjuna (Inde 150-250 ap. JC) : « Le miracle absolu c’est de se mettre à la place de l’autre ». Est-ce possible ? En tout cas, on peut fermer les yeux et essayer de marcher, sortir, aller dans la rue… Cette vision du noir permanent, fait surgir une compassion naturelle, de l’empathie, pour ces êtres atteints de cécité.

Peut-être avons-nous quelque chose à améliorer dans notre fonctionnement, pour qu’à chaque instant, nous nous rendions compte de la chance que nous avons d’avoir à notre disposition cinq sens à l’œuvre. Rien que cela, devrait nous mettre dans une forme d’auto gratitude. Ecouter une belle musique, c’est magique ! Fabriquer une belle musique, c’est magique ! Nous avons chacun mille exemples de ces petits moments, qui passent à la fois par « réécouter, réentendre, ressentir, être touché par, savourer », que paradoxalement, on a un peu désinvestis au profit d’une vie dite mentale, virtuelle, qui serait exclusive, c’est-à-dire qui prend trop de place. Je ne suis pas de ceux qui disent : « Evacuez l’intelligence, la compréhension », au contraire, mais reliez ça en harmonie équilibrée, avec vos perceptions sensorielles.

L’intérêt majeur de nos perceptions sensorielles, c’est qu’elles sont irremplaçables. J’aurai beau vous expliquer le goût du saumon fumé, vous ne le connaîtrez qu’en le savourant en pleine conscience. Quelqu’un a dit : « Parler du Zen, c’est chercher des poissons dans une rivière asséchée, pour bien faire comprendre la limite de l’explication. Lorsqu’il a fermé son dojo, Nishijima m’a fait cadeau d’un texte qui dit : « Ce qui compte, ce n’est pas de lire des livres, fussent-ils bouddhistes. Ce qui compte, c’est s’asseoir par terre et tenir sa langue et son esprit ». Là, plus besoin de lire quoi que ce soit… Il est intéressant de voir la limite des enseignements.

« Ici et maintenant », c’est un camp de base : si vous vous sentez traversés par quelque chose d’émotionnellement dur, revenez à votre respiration et à vos perceptions sensorielles, vous verrez qu’il y a quelque chose qui change. A l’inverse, si vous répondez à l’inflammation par autre inflammation, ça va « monter dans les tours » en stress. Les hormones de stress, on ne le répète pas suffisamment, sont des hormones tueuses. Elles sont utiles pour dire : « Il y a le feu », mais les entretenir sans raison, nous fait du mal. S’aider soi-même, c’est lâcher prise : « Dételle ta charrette, parce que tu vas y laisser ta peau ». Prends conscience que c’est trop dur ! « Je veux y arriver, j’en suis capable, je vais serrer les dents mais j’y arriverai », pour le coup, on n’est pas dans l’auto compassion. C’est ce que nous allons examiner.

Dans la tradition bouddhiste, le camp de base est appelé « refuge ». La prise de refuge signifie nous relier ici et maintenant à nos perceptions sensorielles, guidés par notre sensibilité profonde et notre intelligence sensible. C’est une pratique essentielle et pourtant déroutante de simplicité, ce qui fait dire à la sagesse du Zen : « Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as ». Si je cherche dans ce que j’ai, c’est que ça ne me manque pas ! Souvent, on croit manquer !

« Pauvre ou riche, la pratique du don ». Voici une histoire d’une grande profondeur : Cela se passe dans la Chine ancienne, au cours d’une année de famine. Les gens essaient de survivre en suçant des racines et des cailloux. Un paysan, voyant ses enfants pleurer, va voir le moine Zen local et lui dit : « Tu as vu, c’est horrible cette privation, on manque de tout, c’est la misère ». Et la réponse paraît horrible : « Le combat est perdu d’avance ». Il ne comprend pas : « Mais c’est pas possible, c’est cruel ce que tu me réponds ». « Le combat est perdu d’avance, parce que pour l’instant, l’ennemi est dans la famille ».

Cela mérite évidemment beaucoup d’explications. Eric Rommeluère (Paris 1960) a écrit là-dessus, dans des dialogues interreligieux avec un prêtre catholique. L’histoire consiste à se dire : « De quoi je manque ? » Au fur et à mesure que je cultive (notre société de consommation est quand même vachement fondée là-dessus) : « Je manque de… », je vais fabriquer de l’avidité. Là on est dans un exemple extrême, où la famille en question n’a certainement pas la ressource (ventre affamé n’a pas d’oreilles) du recul nécessaire pour savoir pourquoi elle en est là.

Nous en avons parlé avec Eric Rommeluère lorsqu’il est venu ici ; je suis sur l’idée de « Quand la baignoire déborde, le fou passe la serpillère et le sage ferme robinet ». Je suis plutôt pour fermer le robinet, c’est-à-dire prendre conscience de ce qui est vraiment à l’œuvre. N’empêche, qu’il y a le geste juste qui consiste à donner à manger immédiatement, à celui qui a faim. Mais si je suis juste dans cette posture, je vais instaurer des restos du cœur, des soupes populaires, et un système où les personnes ne vont pas être en capacité, par elles-mêmes, de se sortir de cette dépendance. Il faut donc les deux, c’est-à-dire à la fois, faire en sorte que les gens ne meurent pas de faim, et surtout, comme dit le proverbe africain, « Enseigner à pêcher, plutôt que de donner du poisson ». Donner du poisson, cela suffit dans un premier temps, mais cela ne va pas le faire à long terme. Le proverbe africain signifie : « Offre un filet et enseigne à pêcher ».

Comment faire pour rendre les gens autonomes ? Si on se laisse aller à une situation de maintien de la dépendance, on n’agit pas vraiment sur les causes profondes qui vont procéder à ce que l’on appelle le démon de l’avidité, c’est-à-dire « Il me manque tout ». Cette histoire de la famine est très intéressante à approfondir ; « Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as ». Il y a un côté très déroutant ! C’est le contre-feu de l’affirmation ; à chaque affirmation on peut essayer d’examiner un contre-exemple absolu, pour la prendre à contre-pied.

Aider tous les êtres, signifie ne jamais relâcher son effort, et surtout sans en attendre une quelconque récompense, de mérite ou de reconnaissance, parce que parfois on se donne une trop grande place dans le regard d’autrui. Dans le Zen, nous avons cette expression : « Sans esprit de profit ». On fait les choses parce qu’on les fait, point.

Aider tous les êtres, c’est n’exclure personne et n’être indifférent à rien. Aider c’est : action concrète de comportement ouvert. Cela peut passer par une saine colère, mais c’est à éviter, sauf s’il n’y a vraiment pas moyen de faire autrement, et sans que ce soit un défouloir pour se faire plaisir. Dans certains cas, la colère peut agir comme un acte chirurgical ; le chirurgien intervient parfois de façon intrusive en violentant un corps (il ouvre, il coupe, il découpe, il bouge les organes, il recoud…), mais il opère sans aucune passion, juste avec son intelligence et sa conscience, comme un artisan attentif à ce qu’il fait.

Les postures de l’esprit sont très intéressantes à visiter… C’est aussi intéressant dans la pratique ; le fait de s’entr’aider, de venir régulièrement pratiquer (s’asseoir le dos droit en silence pendant un certain temps), va faire que les choses vont se passer d’elles-mêmes. C’est un truc assez étonnant que l’on découvre au cours des pratiques : « Tiens, ça me fait du bien, je vais continuer ! » C’est un processus lent, parce que notre système nerveux autonome est quand même réglé, et il est difficile de déboulonner ce qui a été bien figé. « Plus je pratique, plus je m’apaise, plus je m’apaise, plus ça devient clair ». C’est exactement l’image de « Le reflet de la lune dans l’eau n’est pas la lune ».

Tant que je ne suis pas apaisé, ma conscience miroir des choses est obstruée, « Je n’y vois pas clair, j’ai l’impression de m’égarer, d’être dans la confusion ». Dans la confusion, on ne peut pas faire de choix conscient, ordonné, décisif, important. On est guidé par quoi ? Qui a raison ? Le dernier qui a parlé ? Le troupeau ? « Puisqu’ils sont 3000 à l’avoir fait, c’est qu’ils ont raison ». Pas forcément ! On peut se tromper collectivement et entraîner les foules dans l’erreur ; pas sûr qu’ils aient raison quand ils se tapent dessus ! Pourtant ils sont nombreux ! Et si une voix s’élève pour dire qu’elle n’est pas d’accord, elle se fait écraser !

La saine colère est donc autorisée pour briser les dogmes, mais commençons par les moyens non violents.

La vision claire de la réalité, passe par l’examen des obstacles. Quels sont-ils ? Confusion, inconscience, obscurantisme, complotisme, tromperie, opacité mentale, avidité, intoxication. Prenons conscience que lorsque nous sommes dans un état de colère, nous sommes sourds et aveugles physiologiquement ; « Je suis juste habité par une seule idée, j’ai raison, et je ne tolère pas d’être contrarié ». C’est étrange, pas très humain, et souvent dans des états de colère, on fait n’importe quoi !

Tout ce qui est de l’ordre à cultiver de la patience, de l’écoute, de la douceur, de la tendresse, de la bienveillance, du sourire, de la gentillesse…, relève des principes de non-violence et de clarté. Commencer par soi : « Je suis imparfait, j’ai des rondeurs disgracieuses… Ben, et alors ? C’est pas grave, lâche du lest ! »

L’auto-compassion. Qui, lors d’un ressenti d’anxiété ou de sentiment d’abandon, n’a pas entendu : « Remue-toi ! Ne t’apitoie pas sur toi-même ! Bouge-toi les fesses ! Tu ne vas pas rester dans cet état, enfin, quoi ! » Et le pire, c’est quand j’ai à l’intérieur de moi, une sorte de voix qui me fait des commentaires plus ou moins moraux, qui me critique comme un père fouettard. Et pourquoi j’ai hérité de ça au fond ? C’est comme si j’avais encore l’image de mon père fouettard à moi, qui continue à vivre de cette façon (à l’intérieur de moi).

Question sur l’auto-compassion : que se passerait-il, si, au lieu de vous battre en écoutant cette voix contre vos émotions négatives, vous les acceptiez ? « Ben oui, je suis triste ! » ; « Sois pas triste ! » ; « Si, je suis triste ! »… Là, il y a une différence majeure de posture.

Qu’est-ce que l’auto-compassion ? C’est être conscient et touché de sa propre souffrance, et mettre en œuvre un truc super important, que l’on ne répètera jamais assez et que les Stoïciens et les Grecs anciens appelaient « Epoké » : suspension du jugement. Je vais opposer à mon petit dictateur intérieur qui dit « Botte-toi les fesses, sois parfait, arrête d’être triste… », une paix intérieure centrée, qui réplique « Cause toujours… Plus tu me le diras, moins ça marchera ». C’est comme si, d’entendre cette phrase pleine de bonne volonté, « Sois pas triste », renforçait ma tristesse.

Si, croyant rendre service à un alcoolique, vous lui dites, « Arrête de boire », il va dire « Oui… Oui… », mais comme il va culpabiliser encore plus de ne pas y arriver, il va picoler encore plus.

Ce qui est apparemment plein de bonnes intentions, est plus que contre-productif, dans le sens que ça va augmenter la culpabilité. Voyez combien cette espèce de censeur intérieur, peut être en fait, très très dévastateur. Ma petite idée là-dessus, c’est qu’un certain nombre (sans doute pas toutes), de maladies dites auto-immunes où notre système nerveux autonome fabrique des défenses, alors qu’il n’y a pas lieu, pourraient trouver une forme d’explication dans cette posture d’absence d’auto-compassion.

Dans la pratique, je me rends compte plus facilement de cette voix intérieure tyrannique, dictatoriale, « Remue-toi, ne pleurniche pas sur toi-même, t’as aucune raison d’être triste ! » Ça ne sert à rien d’être triste ! Le fait de se rendre conscient de cette petite voix intérieure qui nous parle (qui ne vient même pas de l’extérieur), procède de ce que nous cultivons ici, c’est à dire nos pratiques d’intention : « Tiens, il y a une petite voix intérieure qui me dit ça… », et notre intelligence pare-feu de rétorquer : « Est-ce que tu me tiens un discours pertinent pour moi-même ? »

Je suis un peu en opposition frontale sur l’histoire du clone qui se rapproche du modèle de perfection. Comme nous l’enseigne le Sutra de la Grande Sagesse à propos de tous ces modèles inconscients : « Evacuez-moi tout ça s’il vous plaît ! » Jetez un grand ouragan pour mettre tout ça par terre ! Ce n’est pas facile, mais ça passe par une pratique d’intention profonde. Il y a des dérivatifs, style la musique, les chants grégoriens, ou les perceptions sensorielles qui sont des techniques très efficaces. Quand je suis dans ces moments-là, je n’ai plus mal, parce que mon mental n’est plus habité de ce tournicoti qui est au fond, un conflit intérieur, entre « Je suis triste » et la voix que qui me dit « Arrête d’être triste, gendarme-toi, pleure pas ».

Etre conscient et touché de sa propre souffrance, c’est mettre en œuvre l’attitude de suspension de jugement, plutôt que d’éviter ou d’esquiver cette fichue souffrance, ou tenter de la combattre dans une lutte inutile pour tenter de l’évacuer ou de faire le vide. Il y a cette posture assez déroutante au début, qui est de s’ouvrir à sa propre souffrance. Là, pour le coup, on est dans les travaux pratiques en salle ou dans les retraites : « J’ai mal aux genoux », qu’est-ce que j’en fais ? Je m’ouvre à ma souffrance : « Oui, j’ai mal » … J’ai besoin de décroiser : « Oui décroise ». Le modèle inconscient que je perpétue, c’est de dire : « J’ai mal, mais je vais y arriver, je serre les dents… » Il se passe que je me crispe, je me bloque, et je mène un combat intérieur.

L’apprentissage, c’est : « Il faut commencer petit ». Une mouche se pose sur votre nez ou sur votre joue, ou vous croyez que c’est une mouche : en fait, c’est rien du tout, c’est l’envie de se gratter. Eh bien, cette envie de vous gratter, accueillez-là comme une opportunité de pratique géniale, comme une vraie chance, c’est-à-dire : « Je ne vais pas lui céder, je vais l’accueillir et lui sourire, je vais respirer ». Eh bien, elle va passer toute seule !

La méthode c’est : « Je ne dramatise plus », et j’ai la gradation entre inconfort, douleur et souffrance, où souvent je me la pète quoi ! Je surjoue un inconvénient « AAAh ! Je ne peux pas supporter çaaaa, faut que je me gratte ».

Il y a cette façon de réagir, un peu dans l’imagerie d’Epinal du Zen, qui ressemblerait au flegme british : « Tiens, il y a un tremblement de terre… Ah ouais ! » Ce n’est pas cette indifférence-là. C’est : « Je le ressens, je l’accepte, je m’en accommode, je le respire, je me mets avec, je l’identifie, et je le laisse passer ».

Si j’ai besoin de me gratter, je me gratte, mais je vais essayer, dans un premier temps, de faire ce que dit le texte : « Je tiens ma langue ». Au fur et à mesure que s’accroît la maîtrise de soi et la stabilisation mentale de l’esprit, quelque chose va s’adoucir, s’altérer, perdre de sa densité, et entraîner l’absence de dramatisation et donc de théâtralisation. Si je commence par dériver en disant : « Tiens, je note avec bienveillance que ça souffre », ça aide déjà à moins souffrir. C’est en fait un travail passionnant d’exploration, où je décentre, je regarde un autre point de vue.

Par exemple en pratique : une collègue de travail que j’aimais bien, a été très désagréable, et je sens monter un début d’irritation. Qu’est-ce que j’en fais ? Comment je fais ? Eh bien,

1° Je commence par ruser : « Youpi, c’est l’occasion unique d’exercer ma patience ! Quelle opportunité ! » Cette méthode est d’une grande efficacité, car on va être habité d’un sourire intérieur, et le sourire intérieur face à une agression, c’est ce qui déstabilise le plus l’ « adversaire ». Qu’est-ce qui est à l’œuvre au fond ? C’est une culture de la stabilisation du mental.

Je pense qu’il est vachement préférable d’aller se coltiner avec la pratique parce qu’on peut lui faire vraiment confiance, plutôt que de rêver à des idéaux de perfection, avec des trucs très cérémonieux.

2° Je prends conscience que de toutes façons, cela ne va pas durer. Il y a cependant des moments où on a l’impression que cela ne finira jamais, comme lorsqu’on souffre de coliques néphrétiques ; ça fait mal tout le temps, sans répit… Ça finit par cesser avec la morphine, mais en attendant, c’est une douleur maximum que rien ne peut apaiser. Quand c’est nécessaire, il est recommandé de prendre des médicaments, en oubliant les : « Je ne veux pas qu’on m’injecte un corps étranger » ou « J’aime pas prendre des pilules, c’est pas naturel ». Il est salutaire de se libérer du naturel… La nature, ça peut être hyper dangereux ; bouffez une amanite phalloïde, vous verrez si la nature vous veut du bien !

Il y a un autre obstacle avec ce petit dictateur intérieur qui nous cause : c’est l’image sociale

de renvoyer un visage heureux. C’est un truc terriblement dictatorial, parce que l’on puise comme une existence, dans la reconnaissance du regard d’autrui. C’est compliqué de ne pas être sensible au regard d’autrui, parce que nous sommes des animaux sociaux. Et cette reconnaissance dans le regard d’autrui, c’est quelque chose de très puissant qui peut être une forme d’illusion, et générer des traversées de déceptions ou frustrations. Quelqu’un a dit : « La vie est une route avec des nids de poule ».

Comment je réagis aux chocs ? « Meeeeeeeerde ! » Cette réaction-là, c’est le système nerveux autonome sympathique qui ne porte pas très bien son nom. Le système nerveux autonome sympathique c’est tout ce qui, sur le mode robotisé à l’intérieur de moi, déclenche immédiatement du stress, de l’irritation, de la frustration…, à la vitesse de la lumière pourrait-on dire. C’est très rapide !

Comment je fais avec ma petite voix intérieure qui critique ou qui blâme ? Observez que « Plus je vais m’énerver, plus il y aura de nids de poule ». Plus je râle et plus il y en a. La pratique enseigne : « Vous avez une adversité… Respirez-là, accueillez-là, soyez tendre avec, soyez dans la douceur ». Expérimentez-le, et observez ce que cela donne. C’est une invitation bienveillante à : « Et si je me mettais avec ? » On n’est pas dans l’esquive, ni dans le travers de l’idéalisme de dire « J’aimerais que ce soit différent, que la réalité change ». La réalité étant comme elle est, cela nous engage, par notre capacité intelligente, à nous adapter à ce qui se passe. Est-ce si grave que ça ?

Un proverbe Zen nous enseigne : « Si tu comprends, les choses sont comme elles sont. Si tu ne comprends pas, les choses sont comme elles sont ». En fait, c’est un enseignement super profond ! « Je comprends pas… J’ai envie de me battre parce que je comprends pas… C’est pas dans mon cône de lumière… Et c’est surtout pas conforme à mon idéal de perfection de ce que les choses devraient être ». Il est préférable de s’adapter aux inconvénients : « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ».

La psychologie positive a beaucoup repris ces enseignements-là. Si je peste pendant une demi-journée, je perds mes moyens, je m’évade ; c’est une débauche d’énergie vaine, et surtout, je vais figer des postures au monde où, tout ce qui va ressembler à cette adversité-là, me fera réagir comme le chien qui a appris à mordre alors que la main veut le caresser, et devenir imbuvable auprès de mes proches.

Je rencontre un nid de poule ? « Bof… Ce n’est qu’un nid de poule, je fais un détour ». Les choses sont comme elles sont ! Je suis dans l’ainséité ! C’est ainsi ! Les pratiques de reliance avec nos perceptions sensorielles sont très aidantes pour cela. En m’enracinant dans mes perception sensorielles, je prends conscience de mes pieds sur la terre, je prends conscience de mon poids, c’est l’attraction terrestre ; c’est mon jugement cognitif, qui associe une expérience à un classement à l’intérieur de ma bibliothèque de mémoire de mon intelligence, de ma culture, et des mots associés.

L’expérience à l’état brut, de son propre poids et du contact de mes fesses sur la chaise, qu’est-ce que c’est ? Ça c’est le camp de base, alors que si je pars dans les idéaux mentaux… Pour le coup, la pratique a un intérêt majeur là-dessus, c’est : « Je vais aller à fond dans mes idéaux mentaux », mais il y a un moment où cela va se purger tout seul. Tôt ou tard ! Je réalise que je cours après des chimères, et ma petite voix qui me critique, elle est du même ordre ! Ça a l’air de rien, mais quand on fait du silence le dos droit, on augmente son intelligence sensible et sa conscience. Vu de l’extérieur, on peut se demander : « Qu’est-ce qu’ils font, assis par terre, sans rien dire, mais on doit s’embêter, c’est du temps perdu… » C’est tout le contraire. Pour le coup, c’est super important de laisser passer cette idée, comme quelque chose d’évident dans notre champ social : la méditation à l’école…

Une fois de plus, je reviens dessus : la ressource essentielle c’est la « suspension du jugement, » : faire corps avec ce qui se présente, sans le méconnaître ni le dramatiser, puis accepter l’imperfection. Par exemple : « Tu es nul en maths, oui mais tu es bon en musique ». C’est un peu pervers, parce que ça maintient la compétition. Parleriez-vous ainsi à un être cher ? Pas sûr ! La pratique de compassion ne serait-elle pas plus intéressante ? « C’est pas grave d’être nul en maths », plutôt que « Tu es nul en maths, mais comme tu es excellent en musique… », qui est encore un diktat de compétition avec soi-même. C’est comme une comparaison : « Je suis meilleur que toi ». On est extrêmement sensible à cette compétition-là : « En fait, je ne suis ni meilleur ni inférieur, je me relie au reste de l’humanité ».

On voit que la posture de douceur avec laquelle je traite mon petit dictateur intérieur, va me permettre de m’ouvrir à une forme plus apaisée de relation avec moi-même. Sinon je suis déconnecté des autres, et l’égo est toujours à l’œuvre : « Je suis le meilleur ». Là encore, décentrage (grand enseignement, connu de toutes les traditions de sagesse) c’est-à-dire la déconnexion avec l’illusion de l’égo. « C’est pas si grave… Je suis relié avec le reste de l’humanité, avec les imperfections qui sont les miennes ».

D’où vient cette fichue voix intérieure d’auto-critique ou d’auto-dévalorisassion ? Un frère spirituel, psychiatre, a prononcé un jour une phrase qui m’a beaucoup marqué : « Sois pour toi, le père bienveillant que ton père n’a pas été, avec les imperfections qui sont les tiennes ».

Qui n’a pas entendu : « Si tu n’obtiens pas tel diplôme, tu n’iras nulle part, tu deviendras clodo, un bon à rien… Tu es nul, tu vas à l’échec ». Si je n’étais pas premier à l’école, au cours élémentaire première année, je me prenais des baffes. Je revenais, j’étais deuxième, paf ! Une baffe ! Ça laisse des traces ! A ce moment-là, s’incruste à l’intérieur de soi, un dictateur toxique.

Ce qui est paradoxal, dans la situation, c’est que c’était plein de bonnes intentions. C’est comme de dire à l’alcoolique de ne pas boire ; c’est plein de bonnes intentions mais c’est aussi plus que contre-productif. Ne pas s’investir thérapeute si on n’en a pas les compétences. Aller avec beaucoup de douceur, de tendresse et d’auto-compassion, vers cette voix intérieure dont j’ai hérité, qui me dit : « Serre les dents… Sois pas ci… Sois pas là… Tu es nul… Tu vas devenir un moins que rien ».

La Société moderne est critique et clivante. Par exemple, le conditionnement des enfants : « Regarde ton voisin, comme il est sage ! Prends modèle sur lui ! » On est au cœur du problème ! C’est pareil que l’histoire de : « Arrête de boire » que l’on répète à l’alcoolo. Et ce truc-là, qui a l’air anodin, va fabriquer un petit dictateur intérieur, qui va se perpétuer. C’est ce dont il faut prendre conscience. Eh bien, ce petit dictateur n’existe pas, c’est un monde virtuel ! Là, du coup, la pratique est hyper précieuse ; elle nous donne à expérimenter ça.

La musique entendue par le fœtus à l’intérieur du sein maternel, ou la pratique de Zazen des futures mamans, pendant le temps de la grossesse, est un magnifique cadeau à l’enfant à venir, qui reçoit des injections de calme. Parce que les hormones de stress, quand une femme est enceinte, passent directement dans la mémoire du bébé. Ce n’est pas étanche, pas du tout !

J’ai eu la chance d’avoir un enseignement en Neurosciences d’une chercheuse du CNRS à Grenoble qui bosse sur l’ADN. On hérite des traumatismes anciens, qui s’inscrivent dans l’ADN. Toute la question, c’est l’expression du gène. « Mince, j’ai le gène du suicide parce que mon grand-père s’est suicidé ». Grande bonne nouvelle : la plasticité cérébrale ! Je peux faire en sorte que l’expression de ce gène se modifie, et ne se manifeste pas. Pour cela : méditation, vie affective, qualité d’air, qualité de nourriture. Si on est au-dessus d’une centrale nucléaire avec des ondes toxiques, si on est un habitué de la malbouffe du coca-cola-hamburger, et si la vie affective est une bagarre permanente, il y a crispation, et l’expression du gène risque de mal se passer.

L’auto-compassion c’est de se rendre conscient de cette petite voix intérieure qui nous accuse, et lui répondre : « D’une part, tu me racontes des salades, d’autre part, je te dis gentiment que tu te trompes ». Ou bien je respire et je me réancre dans le camp de base que sont les perceptions sensorielles. C’est un truc simple, facile, à la portée de tous, et disponible à tout instant.

Face à un enfant turbulent : d’où ça vient ? Pourquoi est-il turbulent ? Si j’ai un regard plus éclairé, plus profond, avec plus de recul, je me rends compte, par exemple, que son être parle des angoisses que mon arrière-grand-père a pu enregistrer pendant la guerre de 14. Qu’est-ce qui se passe lorsque l’enfant s’agite ? Un « Sois sage ! » contre-productif. Mais si tu dis : « Je te comprends, qu’est-ce qui se passe en toi, qu’est-ce que tu ressens, qu’est-ce que tu éprouves ? », cela permet de ne pas couper le lien. L’idée, c’est de ne jamais couper le lien. C’est pour cela que je parlais de clivage.

Dès l’école, l’apprentissage de l’estime de soi, est basé sur un comportement de réussite et ses réalisations. Chez les étudiants et plus largement les groupes sociaux, pour être intégré et accepté par ses pairs, il ne s’agit pas d’être soi-même, mais d’être conforme à un modèle, par exemple, les bizutages entr’autres stupidités, avec parfois des horreurs, des humiliations… Cela se faisait encore à une époque récente. De plus, les bizutés les plus humiliés, devenaient les bizuteurs les plus humiliants : « Je reproduis un comportement stupide ». Alors stop ! Suspension du jugement… Prends conscience de ce que tu fais…

Nous finissons par être critiques, parce que nous croyons que cela aide à faire mieux. Vous redoutez que si vous commencez à vous accepter et (ou) à vous pardonner, vous ne vous pousserez pas à faire mieux. La vérité, pourtant, est que l’excès d’auto-critique draine une part considérable d’énergie cérébrale, se traduisant par des surcharges mentales, envahissement de conscience de l’enjeu, qui en fait, vous laissent moins d’espace pour continuer et agir. Il est donc très important de tâtonner et même de mal faire.

Toutes ces pratiques d’auto-compassion, ont été reprises par les thérapies cognitives et comportementales, c’est-à-dire :

  • Thérapie cognitive : J’identifie et j’exprime mon ressenti : « Je suis triste, je n’ai pas peur de le dire, même pour ne pas fâcher ». Exemple : « J’ai envie de pleurer », laissez vos larmes couler, alors qu’on est plutôt dans l’apprentissage de la répression de ses émotions.
  • Thérapie comportementale : Acceptez et validez votre ressenti. Il n’y a rien de mal à ressentir ça. Dans la même situation, tout le monde ressentirait la même chose. Et surtout, vous n’êtes pas seuls à ressentir et à exprimer : « J’ai mal ». Cela ne signifie pas : « Je suis mauvais » ou « Je suis une mauvaise personne ». Ce faisant, on est dans une forme d’espérance ; on va mieux faire, on va résoudre le problème. « Tu es triste, ta tristesse, c’est ma tristesse ». Toujours cette histoire de « Je reste en lien avec ». Comme disait la philosophe Simone Veil : « L’attention est la forme la plus pure de la générosité ».

Le ressenti de choses qui sont mauvaises, c’est juste un panneau indicateur qui signe une sensibilité. Et qu’est-ce que j’en fais ? Que diriez-vous à quelqu’un pour le réconforter ? « Je suis avec toi », « Je suis solidaire de tes enfers ».

Fais en sorte que l’expérience difficile de traverser les enfers, soit l’opportunité de « Faire avec ». Même si c’est très difficile. Donc, n’esquive pas. Ici la pratique est une vraie ressource. Fais ce que la situation demande de faire ; cela va entraîner tout de suite l’adoucissement des décharges d’Adrénaline et autres hormones de stress. Laisse passer, et passe à l’action.

Nishijima m’a souvent répété : « La méditation c’est la forme la plus épurée d’action dans l’instant présent ». On est apparemment à contre-courant complet, de la vision extérieure que les gens peuvent avoir : « Vous n’agissez pas, vous ne faites rien ». « Si ! Je suis encore plus attentif aux sons du monde, à ce que je peux toucher ».

Donc, passez à l’action, quelle que soit cette action. Il y a des personnes qui ont besoin de courir, de faire du vélo, d’aller à la pêche à la ligne, de faire la cuisine… Passer la serpillère peut être un anti-dépresseur.

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