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Précepte 3 – Etre solidaire de tous les êtres vivants

Faire le bien pour les autres,

Etre au-delà du profane et du sacré,

Aider tous les êtres, comme soi-même, à réaliser la vision

claire de la réalité, l’éveil.

Qu’est-ce que ça veut dire, déjà « Etre solidaire de tous les êtres vivants ? » La première chose qui vient à l’esprit, c’est que la tâche est pratiquement impossible. Puis-je vraiment être solidaire de tous les êtres vivants ?

Les êtres vivants sont innombrables et nous sommes, ici, conviés à les considérer tous, et sans exception : l’araignée, la mouche… Ce qui est très intéressant, ce sont nos phobies ; cela nous renvoie à « Pourquoi on a des phobies ? » Du coup, on déteste les araignées, les souris… Etre solidaire avec les araignées et les souris, c’est dur, pourtant c’est pas grand’ chose à priori.

Lorsque les êtres humains ont commencé à se sédentariser et à faire des réserves de blé et de graines diverses, les souris avaient trouvé là de quoi se nourrir. Les hommes ont alors observé que les chats qui, à l’origine étaient sauvages, pouvaient être domestiqués et devenir des alliés objectifs pour éviter la destruction des réserves. C’est ainsi que se sont installées les relations avec ces animaux absolument fascinants que sont les chats.

Etre solidaire de tous les êtres vivants… J’ai du mal avec les chasseurs qui zigouillent de sang froid des petits oiseaux. Etre solidaire d’un chasseur, c’est impossible ! Mais…. le précepte dit d’être solidaire de tous sans exception : « Je te comprends dans ces horreurs »; Pol Pot (Cambodge 1925-1998), l’initiateur du génocide camdbogien, prenait des bébés par les pieds et les tuait en tapant leur tête sur les arbres. Comment peut-on faire des choses pareilles, et comment peut-on être solidaire de tels individus aveuglés par la haine ? « Je te comprends », c’est-à-dire la compréhension, ne signifie pas, d’une part de rester les bras croisés devant l’insoutenable, et d’autre part, être Ponce Pilate « Je m’en fous » et détourner son regard. Dans la pratique, il y a ce courage de regarder, y compris ce qui ne plaît pas, à l’intérieur de soi pour commencer.

La lucidité est au cœur du sujet, puisque la fin de la citation de ce précepte nous dit : « Aidez les êtres à s’éveiller à la vision claire des choses ». La vision claire, ce n’est pas détourner le regard quand cela ne plaît pas.

Porter un regard sur tous les êtres, est-ce seulement possible, moi qui me connais à peine moi-même, voire pas du tout, et qui connais à peine mes voisins de palier ? Et en plus, être solidaire, quand j’ai déjà du mal à me comprendre, que j’ai du mal à comprendre mes voisins de palier, mes parents ou mes enfants dans ce qu’ils peuvent avoir de comportement étrange… On voit que ce troisième précepte engage à aller au-delà de soi-même, de ses résistances, donc « Je te comprends, même si je te désapprouve ».

Solidaire, c’est aussi « partager leur peine ». Dans cette invitation il existe, semble-t-il, une dimension écologique. Etre solidaire de tous les êtres vivants, signe l’étroite interdépendance des êtres entre eux et leur milieu naturel. Cela souligne également une sorte de communauté de destin entre les humains, leur société et la nature. Cette interdépendance est un constat scientifique ! Prenons par exemple les abeilles pollinisatrices « Le jour où il n’y aura plus d’abeilles l’humanité mourra ». On ne peut qu’être hostile aux pesticides. Cette invitation à la solidarité, établit une profonde responsabilité consciente, au sens de nos devoirs envers le vivant. Cela commence à côté de chez soi, et pas seulement la forêt amazonienne que l’on brûle pour faire de l’huile de palme, donc du carburant…

Peut-on ne pas voter ? Peut-on se désintéresser du monde animal avec les batteries et les abattoirs, de la protection de l’eau, des espaces naturels, de la pauvreté en général, des migrants, des principes de santé globale, de l’enseignement critique et moral, de la pratique du calme dans tout le système éducatif. Il y a des applications pratiques très directes, sur la solidarité envers tous les êtres vivants.

Après…. Si je subis chez moi une invasion de lapins atteints de la myxomatose, qu’est-ce que je fais ? Peut-être que l’acte de réguler va être un acte de compassion. Très compliquée la solidarité avec les lapins atteints de myxomatose ! Quand on énonce une espèce de règle générale, il est toujours important de mettre les mains dans la glaise pour voir si ça marche.

Prenons conscience aussi que nous sommes, d’après les scientifiques, à l’époque de l’anthropocène, c’est-à-dire l’époque où l’être humain a maîtrisé la nature, l’a domestiquée, mais l’a aussi détruite ; il a une dette écologique dans un monde aux ressources limitées, ce qui pose la question de la répartition. Solidarité…. Cela engage à cette prise de conscience-là. Subsister collectivement, n’est pas une question de survie, mais l’exigence de la solidarité envers tous les êtres. Parce que si on continue sur notre lancée, on se prépare à créer l’enfer. Prenons l’exemple des méga-feux. Comment est-il possible que le Canada ou la Sibérie, supposés froids, puissent connaître des méga-feux ?

Dans son enseignement classique, le Bouddha dit : « Il n’y a ni profane, ni sacré, il n’y a que l’instant présent ». Certains lieux comme les Eglises et les Universités sont des espaces sacrés, parce que ce sont des endroits de refuge et de savoir. Ils sont inviolables (sauf s’il y a crime évidemment) et les CRS n’ont pas le droit d’y entrer.

Nous avons aussi cette imagerie, qu’il y a des hauts lieux qui nous font ressentir de l’élévation. Chaque fois que je vais à Pierre Chatel, je ressens une vibration très très particulière ; déjà le lieu parle de lui-même par la beauté de ses pierres et son environnement très profond et paisible.

Très facilement, nous allons avoir cet étiquetage de dire : « Ah ! pas touche ! » Le mot profaner veut dire : « Je fais irruption, avec mes gros sabots, dans un espace dans lequel je n’ai pas le droit de toucher ». On distingue un critère très cher à Nishijima qui est : « L’idéalisme du sacré et le matérialisme du profane. On a séparé deux mondes, là…

Ce qui est très intéressant dans les pratiques bouddhistes de toutes les écoles confondues, c’est qu’on nous suggère : « Mets donc du sacré dans ce que tu crois être profane » (mon caca n’est pas sacré du tout), ou « Fais attention quand tu fais pipi ! ». Un des enseignements de Roland Rech, parmi les premiers que j’ai entendus, c’est : « Vous allez aux toilettes, faites gasshô. Un proctologue dit : « Ce que je fais moi, est aussi noble que ce que fait un cardiologue ».

Qu’est-ce qui est sacré et qu’est-ce qui est profane ? On voit tout de suite que c’est vraiment une vision collective partagée, que tout ce qui est en-dessous de la ceinture serait plutôt du profane, et que tout ce qui est du côté du ciel et de l’élévation ce serait plutôt du sacré. Eh bien, ainsi que l’exprimait la sagesse de la Chine ancienne, cette distinction n’est pas pertinente, « Sois au-delà de cette distinction ! » Quand vous avez du sacré, rétablissez la vérité en y mettant une dose de profane ». Une citation Zen dit : « La fleur est dans le compost », mais on n’a pas du tout cette perception. C’est un principe très intéressant, que cette invitation d’aller au-delà.

Les vues extrêmes de l’idéalisme et du matérialisme conduisent à des vues erronées :

  • L’idéalisme conduit à la vue fausse de l’éternalisme, c’est à dire que tout est éternel, y compris l’âme immortelle…
  • Le matérialisme conduit à l’idée fausse que rien ne vaut la peine de s’y attarder, puisqu’on va tous mourir.

Ces vues fausses sont disqualifiées, mais concrètement, comment je fais pour y voir clair ? Parfois je me sens appelé d’un côté, et parfois de l’autre. Le constat est, qu’en fait, la frontière est indéterminable. Il n’existe aucun critère objectif de la distinction entre profane et sacré. Peut-on trouver un critère objectif sur ce qui est réellement profane et ce qui est réellement sacré ? On comprend le dégoût de l’excrément, mais en fait c’est un engrais. Dans le Sahara, on brûle les excréments de chameau, pour faire du feu.

Peut-on considérer que tout est sacré ? Les sages nous disent : « Rien ne vaut la pratique ; soyez indifférents aux écrits, fussent-ils bouddhiques ». C’est « ma » vision (en fonction, évidemment, de mon environnement culturel, social, éducatif, du monde dans lequel j’évolue), qui va avoir tendance à sacraliser, et en effet, à partir de là, tout peut être sacralisé. Par contre, il peut y avoir une forme de sacralisation, pas forcément associée à Dieu, à partir du moment où j’injecte une forme d’importance à des choix.

C’est un peu l’histoire de Freud quand il a écrit « Totems et tabous ». Quand on totémise, on élabore une sorte de modèle idéal auquel on va essayer de se rapprocher en terme de comportement, et tout ce qui ne sera pas conforme à ce modèle idéal sera considéré comme tabou. La distinction avec le sacré (provenant de comportements animistes à une époque de l’humanité), ce sont les dieux de la nature. Cela revient un peu à la mode avec les personnes qui se disent chamanes ; c’est un peu une contre culture. Par exemple, on se rend dans une forêt de pins, on prend un arbre dans ses bras, on essaie de vibrer avec lui, de ressentir son énergie au sens large (et elle existe), et on se remplit de façon un peu fraternelle de ce lien… Est-ce que c’est sacré ou est-ce que c’est profane ?

La distinction n’est pas très appropriée, et tout dépend de mon approche qui peut être, soit matérialiste, soit idéaliste :

  • Approche matérialiste : « Au fond, je ne suis qu’une circulation sanguine, une biologie, de l’électricité, de la chimie, et même mes sentiments sont de la biochimie »… C’est vraiment une définition terre à terre.
  • Soit idéaliste : « Mais non, j’ai une âme éternelle, je suis en relation avec plus grand que moi que j’appelle Dieu »…

Et ça me dérange ! Ça me dérange, mais c’est ce qui me dérange le plus qui va enseigner le plus. Ce qui me met le plus en questionnement, c’est ce qui va m’enrichir le plus. René Char (L’Isle-sur-la-Sorgue 1907 – Paris 1988) par exemple dit (et c’est repris par Jung) : « Nos plus grandes blessures sont nos plus grandes ouvertures ». Ce qui nous remet le plus en question et nous pose le plus de d’interrogations, c’est ce qui nous enrichit.

Il est évident qu’en l’absence de critères objectifs, la notion de profane ou de sacré correspond à « ma » vision, et ce n’est une prise de conscience que si je prends parti. Et, nous disent les maîtres chinois : « Lorsque nous prenons parti, nous nous trompons ». Les extrêmes sont disqualifiés. Une des phrases les plus connues du Shin Jin Mei « Poème sur la foi en l’esprit » est : « La lutte entre le bien et le mal est la maladie de l’esprit ».

Le Shin Jin Mei,  » Poème sur la foi en l’esprit « , est un recueil de soixante-treize versets, écrit à la fin du VIème siècle par maître Sosan, troisième patriarche chinois après Bodhidharma et Hui Ko, ou Eka en japonais, le maître de Dogen. C’est le plus ancien texte du Ch’an chinois, courant du bouddhisme qui donnera naissance au Japon, six siècles plus tard, à la tradition zen. Ces poèmes, brefs et incisifs comme des diamants, ont inspiré ultérieurement plus de mille koans, ces phrases énigmatiques employées par les maîtres ch’an et zen pour éveiller leurs disciples…

Internet – Babelio

« Le bien c’est sacré, le mal c’est profane, » sauf que ce qui est bien à une époque peut être mal à une autre.

Dans ces préceptes on met plutôt en avant le fait de faire le bien, et d’éviter de faire le mal.

Le reproche que l’on fait souvent aux pratiquants du Zen c’est d’être immoraux : « Du moment que vous dites que bien et mal ça se vaut, vous vous en fichez, et c’est une occasion pour tout enfreindre ». En fait, il existe une sorte d’idée supérieure, mais que l’on a du mal à définir, qui nous dit de ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir…, parce que l’inverse est vécu comme mal. Nous retrouvons la définition de Kant (Prusse 1724-1804) : « Fais en sorte que ce qui conduit tes intentions de décision, puisse valoir principe de loi universelle ».

Il n’y a pas d’immoralité, ni même d’amoralité dans le Zen, du fait qu’il prône une morale au sens d’un comportement, par exemple « s’oublier soi-même, offrir un geste, une parole de douceur, coopérer, ressentir une forme de solidarité ». Mieux vaut commencer petit, et s’entraîner progressivement ; « Je m’y entraîne, parce que je sais que je n’y arrive pas bien ».

Comment ne pas tomber dans les excès et le danger d’hypocrisie ? Il y a deux niveaux : le premier est une soif de reconnaissance, et le deuxième est propre à l’école tibétaine : on est considéré comme des êtres imparfaits, sauf le Lama qui est regardé comme un être parfait plein de vertus. Par conséquent (et c’est marqué dans les enseignements), on est invité à s’inspirer des qualités du lama pour devenir comme lui. C’est une histoire de méthodologie, qui consiste à être les clônes d’un modèle.

Dans l’école du Zen on nous dit : « Fichez-moi tout ça par terre, au crédit de l’hypocrisie possible, parce que vous allez contribuer à une sorte de cathéchisme à la fois d’image et de modélisation ». Comme je le répète assez souvent : Je ne suis ni pour la logique du troupeau, ni pour la logique du dressage, je suis pour qu’il y ait une forme d’introspection tranquille, progressive, naturelle. A partir du moment où vous pratiquez le silence de la langue et de l’esprit, vous allez rééquilibrer un certain nombre de choses à l’intérieur, qui vont faire que, par cette méthode, ça va se poser un peu de soi-même ; cela peut prendre du temps, c’est une question, comme dit Dogen, de quotidienneté . Cela va loin ! Pratiquer, c’est une affaire de quotidienneté ; plus vous allez pratiquer régulièrement, et plus vous allez avancer.

On voit bien que ce n’est plus une injonction, plus ou moins paternelle ou maternelle, de prendre un modèle, mais c’est : « Assieds-toi, tais-toi, et laisser émerger. » Dogen va plus loin avec un mot tout simple « Mushotoku » qui veut dire : « sans intention ». Ce n’est pas évident pour nous, qui sommes les héritiers d’un moulage mental du christianisme ou catholicisme au sens large, qui nous enjoint à : « Fais ci, fais ça », alors que la culture, la méthode Zen, commence par tout déconstruire : « Fiche tout en l’air, tu as une nappe avec des verres, tire-là ».

Quand on a tout viré qu’est-ce qui reste ? Le sutra du cœur de la Grande Sagesse nous parle de la vacuité, qui fait l’objet d’un enseignement, dont le texte dit clairement : « Il n’y a rien ». Il n’y a rien ou il y a quelque chose : il n’y a rien c’est du profane, il y a quelque chose c’est sacré. Les Bouddhistes qui sont des logisticiens en philosophie, disent : « C’est pas qu’il y a quelque chose, mais c’est pas qu’il n’y a rien ». C’est une méthode : chaque fois que j’affirme ce que je crois être une vérité, ça va souffrir son contraire.

Le philosophe Hegel (Stuttgart 1770 – Berlin 1831) a remis au goût du jour ce que les Bouddhistes connaissaient déjà : « thèse et anti-thèse ». L’anti-thèse c’est le point de vue opposé, alors forcément, on aboutit à une synthèse, à ceci près, que les Bouddhistes ils en font quatre : thèse, anti-thèse, synthèse et contraire de la synthèse.

Nishijima dit : « A trop penser, on s’égare et on oublie ce qu’on a sous nos fesses, dans notre bouche, dans notre cœur, dans ce moment présent, qui est notre seul domicile fixe ». Nous sommes des vagabonds nomades, lorsque nous pensons trop. La conséquence, c’est : « Méfie-toi de tes surchauffes d’excès de mentalisation, parce que tu perds du temps, tu rumines, en fait, tu n’es pas dans la réalité de ta vraie vie ».

Qu’est-ce que c’est que la réalité de ta vraie vie ? Cela met en jeu ce que l’on appelle la clairvoyance. L’idéal du Bodhisattva, c’est de sauver tous les êtres. Ça part de l’idée que lorsqu’il est solidaire de tous les êtres, il entend et il voit tous les gémissements et les pleurs du monde. Mais plutôt que de faire un burn out et se recroqueviller en disant « Je déprime parce que je ne peux rien faire et que le monde est pourri », au contraire, il agit à sa mesure pour aider tous les êtres qui souffrent. Dans notre tradition ça s’appelle « Kannon » chez les Tibétain « Chenrézi ». A Kyoto il y a le Temple des Mille Bouddhas, qui sont représentés avec mille yeux, mille oreilles et mille bras.

Méfiez-vous… Parce que vous pensez être un sauveur et qu’il y a des personnes à sauver… En fait, il n’y a personne à sauver ! L’enseignement sur « Il n’y a personne à sauver », cela signifie de ne pas s’autoglorifier par des comportements de cette nature, mais « Je ne le fais pas pour avoir une récompense, je le fais parce que je ressens de faire, puis je l’efface ». Un peu comme les gestes des aidants qui, souvent, sont les plus secrets, on ne les montre pas. Dans l’idée de la personne à sauver, le contre-feu c’est : on a donné un coup de main, mais on ne s’en glorifie pas.

Par exemple : Vous êtes un nageur moyen et vous voyez un bébé en train de se noyer dans une mare ; vous n’hésitez pas à le sortir de l’eau, sinon il va mourir. Vous êtes ce même nageur moyen, et vous voyez au bord d’un torrent rapide, plein de glace, de tourbillons, de troncs d’arbres, un type de 135 kg en train de se noyer : si vous sautez pour tenter de le sauver, vous vous noyez avec. Dans ce deuxième cas, la sagesse chinoise ancienne dit : « Un aveugle qui guide un autre aveugle, tous les deux tombent dans le puits ».

L’histoire de la clairvoyance c’est un peu ça : « J’ai conscience de l’enjeu et j’ai surtout conscience de mes limites ».

Le gros truc avec le Bodhisattva « grosse tête » c’est qu’il se prend pour le sauveur de l’humanité ; on appelle ça une doctrine de salut, en terme savant c’est la sotériologie. La sotériologie, c’est une doctrine qui dit : « Il faut sauver, il faut se sauver, et il faut sauver tout le monde ».

La clairvoyance consiste à dire « J’ai conscience de mes limites ». Avoir déjà conscience de ses limites, veut dire avoir fait un travail important sur soi-même, pour savoir jusqu’où on peut aller. Je vais prendre un exemple que j’ai vécu pendant 40 ans dans ma vie professionnelle :

Pour des raisons financières, les avocats prennent des dossiers pour lesquels ils n’ont pas de compétence, afin d’augmenter la facturation mensuelle. Evidemment, ils se plantent, alors ils font une déclaration de sinistre auprès de leur compagnie d’assurances. Comme c’est géré collectivement, les instances collectives ont dit : « Attention, c’est une faute de déontologie de prendre un dossier pour lesquel on n’est pas compétent ». Cela devient de plus en plus compliqué ; si l’avocat ne fait que du droit du divorce, il ne connaît pas le droit du travail et le cas échéant, il va aller dans un univers inconnu, raconter les sottises, et il ne va pas rendre service.

L’histoire de la clairvoyance, c’est connaître sa limite de compétence et être clair avec ça.

C’est quoi mon cône de lumière ? La sincérité. C’est un mot que Nishijima répétait très souvent : « Soyez sincères, soyez vous-mêmes ». Etre soi-même signifie être clair avec soi-même sur son propre cône de lumière. Certaines choses sont dans mon domaine, même si j’hésite et je me remets en question, tandis que d’autres sont en dehors de mon cône de lumière, où la conduite honnête c’est de dire : « Je ne sais pas faire », plutôt que vouloir avoir une image de « Je connais tout, je sais tout », qui est juste une attitude prétentieuse, idéaliste et insincère.

Si dans notre tradition on est plus discret sur la question, les Tibétains disent que l’on choisit son incarnation. C’est un point de vue un peu idéaliste, mais il y a cependant un petit quelque chose sur l’impulsion. Quand, dans ma vie, j’ai eu à traverser des enfers, peut-être qu’il y avait une impulsion qui m’appelait à y plonger, pour en faire l’expérience. On dit qu’à cet égard, les Bodhisattvas sont des êtres de courage, des héros de l’éveil, c’est comme le rugissement du lion. Il y a toute une littérature : le lion qui rugit réveille les autres animaux !

On voit que la clairvoyance c’est vraiment quelque chose de très important, qui est à l’opposé d’une forme de choix inconscient : soit torpeur, soit assoupissement, soit « je m’en lave les mains », soit « j’esquive, je ne veux pas le voir, je regarde ailleurs ». Regarder un mendiant par exemple, c’est très difficile ; regarder, la nuit, quelqu’un qui dort dans le froid, c’est très difficile, mais en soit, c’est une pratique profonde, parce que je peux déjà le regarder et me dire : « Heureusement, je ne suis pas dans cette situation ». Et après c’est : « Qu’est-ce que je fais ? »

Par exemple, Hubert a traversé les Enfers au sens large. Il a éprouvé le besoin, à un moment de sa vie, de prendre son téléphone pour SOS Amitié, et écouter les personnes en difficulté qui voulaient attenter à leur vie. Chapeau ! Point barre ! Ce que l’on fait, ce n’est pas forcément sur le moment… En fait, plutôt que vouloir oublier les blessures lourdes que j’ai dû traverser, mieux vaut rechercher la leçon qu’elles m’ont apportée, pour être encore plus solidaire, avoir plus de compassion.

On dit que la compassion toute seule c’est dégoulinant de Dame patronesse, et la sagesse toute seule, c’est sec. Donc, il faut les deux ailes pour voler : l’aile de la compassion et l’aile de la sagesse. Mettre dans son émotion, une part de vision clairvoyante.

Par exemple, les psychiatres disent bien que, lorsque l’on a affaire à un alcoolique, on a tendance à lui dire un truc que l’on croit très aidant mais qui n’est pas clairvoyant, le fameux « Arrête de boire ! », au crédit d’une bonne intention. Méfions-nous des intentions ! L’esprit du Zen c’est « mushotoku » : sans but, sans recherche de profit. Mushotoku va bien plus loin que le sans intention, c’est sans esprit de retour ou de récompense, c’est-à-dire sans idée d’image de moi-même qui va être nourrie par le regard de l’autre.

Quelle est la situation aidante pour l’alcoolique ? Quelle est l’attitude juste ? C’est déjà, ne pas juger, puis oublier les catégories toutes faites et venir avec un regard neuf : « Je te comprends ». C’est un outil beaucoup plus aidant que « T’es con de boire ! ». En disant à l’autre qu’on le comprend, on n’a pas fait tout le boulot, mais on n’a pas coupé le lien. Dans « Je te comprends », il y a « Je m’ouvre au tourment qui t’a conduit à altérer ta conscience ! » Cela va loin…

Je suis très touché par les suicides en général. Il y en a 12000 par an. Qu’est-ce qui, à un moment donné, altère leur clairvoyance, leur conscience, pour penser : « Ça ne vaut plus la peine, je débranche ». C’est toujours une sorte image de soi négative. Toujours ! « Je ne vaux pas la peine, je suis nul. Comme je ne suis pas à la hauteur de ce que papa ou maman attendait de moi, je débranche ». Après, la personne rentre dans une forme de désespoir : « Je ne vois rien… je ne vois pas clair… »

Il existe un petit bouquin qui m’a beaucoup aidé lorsque j’ai démarré, parce que j’étais sur un fond de dépression : « La Voie Zen pour vaincre la dépression », écrit par le psychiatre américain, Philip Martin.

J’ai eu la chance de rencontrer le psychiatre américain Judson Brewer (né en 1974) qui a mis au point une méthode pour guérir les alcooliques. Ils les convoque avec leur alcool préféré, et après leur avoir bien fait observer la bouteille, il les invite à se verser un verre, à le regarder, le toucher, le sentir… et lorsqu’enfin ils boivent, ils prennent conscience qu’ils ingèrent du feu et… ils s’effondrent parce que ce qu’ils ont à affronter est trop dur. Pourquoi est-ce vécu comme trop dur ? Ça peut être trop dur, mais c’est là qu’intervient le courage : « Il faut que j’y aille ! »

Quelques citations, à propos de sacré et de profane

  • Emile Durkeim (Epinal 1858 – Paris 1917), un socioloque du XIXème siècle, disait : Dans les formes élémentaires de la religion, les êtres sacrés sont des êtres séparés.
  • Rudolf Otto (Allemagne 1869-1937) : Le phénomène numineux, mêle la crainte et la fascination pour (le tout autre, le plus grand que moi, l’inexplicable que j’appelle divin, les puissances supérieures, les éléments déchaînés…) tout ce qui inspire un profond sentiment de crainte, de respect, mais aussi, si je peux m’en approcher, de prise de pouvoir, avec tout ce que cela engendre de dérive de soumission, par rapport à ceux qui parlent au nom du divin, c’est-à-dire les représentants de Dieu sur terre, dont je dis qu’ils sont tous des imposteurs fussent-ils sincères.
  • Mircea Eliade (Bucarest 1907 – Etats-Unis 1986) a introduit le concept d’hyrophanie, c’est à dire l’irruption du sacré dans le monde profane. Il y a un temps sacré et un temps profane. Il y a des espaces sacrés et des espaces profanes. Le profane serait l’espace de la vie dite ordinaire, parce qu’il y a musique profane et musique sacrée. La musique profane c’est le rock and roll et le hip hop, et la musique sacrée c’est le chant grégorien.
  • Henri Bergson (Paris 1859-1941) dit : Il n’existe pas de société sans religion.
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