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Précepte 1 : Ne pas faire le mal, observer les règles de la Société

Être ordonné Bodhisattva consiste à recevoir les préceptes en tant que laïque, par opposition à un moine ou une nonne. La seule différence, avec beaucoup de libéralisme dans l’Ecole du Zen, c’est que le haut de la pyramide, c’est la pratique. Maintenant, on comprend que les personnes qui cherchent Dieu, par exemple, et qui sont appelées par une vocation, entendent y consacrer toute leur vie ; ce sont les vrais moines, alors que dans le Zen ce sont des faux moines, parce que les faux moines ont une vie affective et la possibilité de gagner leur vie comme le faisaient les prêtres ouvriers.

Quand on reçoit les préceptes, ce sont les mêmes avec une cérémonie peut-être un peu différente pour les moines et les nonnes.

Le premier précepte qu’on entend est le suivant : « Ne pas faire le mal, observer les règles de la Société ». Nous allons essayer de voir ce que cette invitation recouvre comme notion, comme idée.

Premier questionnement : Qu’est-ce que le mal ? C’est quoi qui est mal ? On peut dire que c’est ce qui est contraire au bien, à la vertu, à la morale, à la loi. Vous connaissez peut-être la définition d’un philosophe allemand, Emmanuel Kant (Prusse 1724-1804) qui disait : « Le bien, c’est de faire coïncider la maxime de ta volonté en ce qu’elle puisse valoir principe de législation universelle ». « Ta volonté », ce sont tes aspirations propres, et, le choc entre tes aspirations propres et le bien commun (puisque nous vivons en société), va forcément entamer une part de ton ambition individuelle. Les désirs personnels sont donc écornés par un bien plus grand, qui est le « Vivre ensemble ».

« Le mal est ce qui est contraire au bien, à la vertu », c’est la définition de Kant. Le mal c’est aussi ce qui est susceptible de nuire et de faire souffrir. Dans les Ecoles bouddhistes, la souffrance est une sorte de noyau central. En effet, ce qui a motivé le Bouddha historique dans sa quête et qu’il a ensuite transmis, c’est de résoudre le problème de la souffrance. On voit déjà que le Bouddhisme n’est pas une doctrine de salut dans le sens classique des religions monothéistes, c’est-à-dire : « Vous allez gagner votre paradis si vous faites de bonnes actions ». Il est plus pragmatique : « Qu’est-ce que je peux faire concrètement, pour éviter la souffrance ? » L’histoire de ne pas faire le mal, c’est éviter tout ce qui va être nuisible et tout ce qui va occasionner de la souffrance.

Il y a une autre définition : « Le mal c’est ce qui n’est pas adapté, qui est maladroit ».  Jacques Chazot disait : « Tout ce qui est gauche est maladroit, donc la gauche c’est mal ».

Mal avisé, mal conseillé, malappris, malhabile… Derrière ces notions, il y a cette idée de l’artisan, du maçon qui fait mal son boulot, qui ne respecte pas les normes, qui met des moellons de travers ; tout ça c’est mal ! C’est le non-respect d’une norme préétablie.

Il y a aussi, dans l’idée du mal, les maux physiques (la douleur, la maladie, la mort, la violence), puis les douleurs morales (ce qui nous fait souffrir de l’intérieur). En ce qui concerne les chagrins d’amour, on voit en neurologie qu’il ne s’agit pas d’une douleur dite morale, justiciable de dommages et intérêts, mais bel et bien d’une douleur physique comparable, disait une neuro-psychiatre américaine, à celle d’un drogué en état de manque.

Le mal, c’est également ce que l’on éprouve lorsqu’on est confronté au spectacle de scènes de guerre, de crime, de violence, sans même y participer. Tout cela aussi, fait mal !

Le méchant, c’est celui qui fait du mal, peut-être sans intention, comme par accident. Dans cette définition, la méchanceté serait pardonnable, parce que la personne est momentanément dans un état d’égarement. Les signes avant-coureurs de la violence et de la guerre sont la colère. Ressentir en soi de la colère, c’est déjà un indice intéressant de : « Où est-ce que j’en suis ? », avec tout ce qui est associé. Il y a des colères justes, des révoltes nécessaires, mais en tout cas, ce sont des états d’égarement, d’aveuglement ou de stupidité, au point que l’on parle à ce moment-là d’une conscience insuffisante. Aussi longtemps que dans son champ de conscience, on est envahi par ces « énergies » semblables à des vagues qui peuvent être submersives, la conscience n’est pas au rendez-vous, au point que l’on peut dire : « Quand il est en colère, il est sa colère, il devient colère ». C’est une sorte d’inflammation qui brûle complètement à l’intérieur.

Ça c’était le méchant ! Il y a une autre expression en termes de gradation : « C’est le malin ! ». C’est celui qui fait souffrir intentionnellement, comme par perversité. Lui, il serait moins pardonnable moralement : « Je prends plaisir à humilier ou je déteste une personne parce qu’elle est le reflet de quelque chose que je n’aime pas, qui est concurrent ». Ce plaisir associé, comme une espèce de fascination à faire du mal, ça aussi, ça interroge.

La première invitation à ne pas faire le mal c’est compliqué, parce qu’en plus, il y a le possible plaisir à la transgression de la norme. Cette situation que l’on dit « borderline » est difficile ; il y a une sorte de plaisir à prendre le dessus dans la compétition de « J’ai tort, tu as raison », et cela devient une sorte de combat de boxe. C’est très intéressant d’aller visiter ça dans le concret de la relation.

Dans les cas de divorce, il y a souvent des histoires d’égo malmené sur : « J’ai tort tu as raison », qui ont beaucoup complexifié les relations, et engendré des situations de colère ou de frustration plus ou moins rentrée. Ces situations peuvent parfois être des occasions de silences qui ne sont pas des silences d’apaisement, mais des silences de colère intérieure, de vengeance, de haine.

Le « méchant », on peut pardonner, mais le « malin »… C’est celui que l’on invoque dans les rites sataniques. Dans la cosmogonie populaire et même chez les animistes, pour conjurer tout ça, on désigne le démon, le diable, une divinité maléfique… Le diable, c’est celui qui divise (du verbe grec « diabállô »/ diviser).

Ce qui m’a vraiment beaucoup touché dans la voie du Bouddha, c’est de faire parler les contraires, c’est-à-dire de faire l’effort, lorsque je ne suis pas d’accord, d’essayer de ne pas rentrer dans le moule de la détestation et de la colère, même si je suis confronté à des choses qui sont épouvantablement compliquées, hors normes pour moi. Plus ce sera hors normes pour moi, plus je risquerai de rentrer dans la détestation, et la division. Il est intéressant de réfléchir sur cette racine du mot diable, « celui qui divise », c’est-à-dire : celui qui fait des clans, qui fait des oppositions, qui favorise les conditions à la querelle.

Il est important de se rappeler que « Sangha » veut dire : « La communauté harmonieuse », soit une communauté où, à priori, on fait un travail pour favoriser tout ce qui est équilibré, donc éviter de rentrer dans le mal.

Le « Malin » est sous-tendu par une forme d’égoïsme. Chez l’égoïste, toutes les actions sont mues, seulement, exclusivement, par le désir de poursuivre son intérêt personnel. C’est pourquoi Dogen insiste beaucoup sur le fait que « le Moi séparé est une illusion ». La réponse à ça, c’est : « s’oublier soi-même ». Il y a un conflit : « Quand même… Moi… Mon intégrité… Ma bouffe… Mon toit… Tout ce dont j’ai besoin pour ma vie, je n’ai pas très envie de l’oublier ».

L’invitation qui nous invite à s’oublier soi-même, c’est la voie du Grand Véhicule. Apparemment, ça se discute. Je peux ne pas être d’accord.

J’ai trouvé deux citations qui m’ont fait marrer :

  • « La haine est la seule passion accessible aux médiocres » (René Barjavel) ;
  • « Plus fort est le mal, plus fort est le film » (Alfred Hitchcock).

Cela veut dire que le film aura du succès, parce qu’on est fasciné par la visite dans   les forces du mal. Une sorte de fascination un peu maladive, pour tout ce qui se passe, qui est noir, sombre, criminel, et même des choses d’une extrême cruauté, comme prendre plaisir à faire souffrir autrui.

Pourquoi adore-t-on tant les films policiers ? Parce que cela nous fait faire des voyages dans la transgression. Nous sommes aussi habités de choses qui sont « Bien-mal ». Le critère est-il donc aussi facile que ça, sur : « Qu’est-ce que le mal ? »

Kant nous parle du principe de législation universelle, c’est-à-dire que, si la conduite personnelle, humaine, individuelle, est conforme à l’intérêt collectif, alors on sera dans la morale, l’éthique, le bien, le beau, le bon. Si elle ne vaut pas principe de législation universelle, c’est du calcul… Si par exemple tout le monde mentait, cela donnerait juste un monde invivable dans lequel on ne se retrouverait pas. On voit bien que ce n’est pas seulement quelque chose de l’ordre d’une conduite « Il faut que… », c’est plutôt un intérêt social.

Ce premier précepte qui est dit universel, « Ne pas faire le mal », consiste à observer les règles de la société. Il y a quelque chose de l’ordre de la philosophie de Kant.

Arnaud Desjardins raconte dans un de ses livres, un fait qui s’est produit pendant la guerre de 40. Dans un stalag, les kapos abusent de leur pouvoir en faisant souffrir les prisonniers qui sont pris pour des boucs émissaires, comme si dans un groupe, il y avait forcément une sorte d’évacuation nécessaire de quelqu’un qui porterait tout le mal. Les captifs ont la trouille, l’environnement est absolument terrible, ils n’ont pas à manger, ils subissent des humiliations, des privations, des coups… Un jour, un prisonnier bombe le torse devant le kapo, le regarde droit dans les yeux, et lui dit : « Qu’est-ce que tu veux de plus ? T’as qu’à me flinguer ! » A ce moment-là, le kapo en question se rend compte de ce qu’il fait et fond en larmes. Lorsqu’il est habité par l’idée que l’autre est un Juif à supprimer, il se donne une sorte bonne conscience, qui peut être augmentée par « l’effet de meute » ou « de troupeau ».

Si le tortionnaire est dans un groupe social dans lequel il a une attente de reconnaissance du regard d’autrui, par rapport à ce qu’il fait, il va se sentir légitimé pour appuyer sur la pédale, même si c’est une horreur.

Cet effet de foule est extrêmement dangereux, car il peut déclencher une sorte de folie collective ; c’est un peu comme si le cerveau de tous ces gens était dépourvu d’humanité. Dans des « trucs à la con » comme les matches de foot, on a vu des supporters se faire rouer de coups, au point de se retrouver dans un état grave ou même handicapés. Dans ce contexte, comme c’est un mouvement de meute, chacun a voulu « juste donner un coup de pied pour aider le copain »… C’est comme une dissolution de la responsabilité !

On a besoin d’être reconnu, donc le regard des autres, nous façonne, croit-on, et on en arrive à des situations : « Je lui donne un coup de pied dans la gueule, mais je ne voulais pas le tuer ».

Tous ces phénomènes peuvent être d’une extrême cruauté, d’une extrême inconscience ; « Le troupeau est avec moi, parce qu’il me conforte dans mon attitude, donc j’ai raison ». Là aussi, l’histoire du collectif sans critique ni prise de conscience, peut amener des éléments accélérateurs très violents de ce qui n’est peut-être qu’une perversité personnelle. L’augmentation par le collectif, de ces phénomènes de violence, est assez effrayant.

Dans l’histoire du stalag, lorsque le prisonnier parle au Kapo en le regardant droit dans les yeux, il se produit un renversement, comme l’exprime très bien Arnaud Desjardins, « C’est comme si toute sa cuirasse disparaissait et qu’il comprenait ce que l’autre, comme lui, pouvait expérimenter de la situation ». Le Kapo se met à pleurer, parce qu’il se rend compte de ce qu’il fait. Cela illustre de façon éclatante, que nous avons d’évidence à travailler le lien et les prises de conscience. Chaque fois que je serai dans « Moi je », forcément, j’ai déjà commencé à couper quelque chose.

L’histoire de s’étudier soi-même et de s’oublier soi-même est probablement, dans la voie qui est la nôtre, une étape qu’il n’est pas simple à mettre en œuvre. L’oubli de soi passe par quel type d’attitude ? La ressource est dans la pratique ; tôt ou tard, ce qui va exercer ma patience, ce qui va faire que je ne murmure plus devant les revers, ce sont autant de pierres qui vont me faire grandir sur le chemin difficile qui mène à l’unité.

Observer les règles de la Société, c’est avoir conscience de l’harmonie du corps social.

L’interprétation immédiate de la conscience de l’harmonie du corps social, c’est de respecter la loi : ne pas être anarchiste ; respecter les feux rouges ; respecter tout ce qui est attentatoire à ma liberté, mais qui est utile au bien commun, même si cela me perturbe dans ce que je pense, ce que je crois, ce à quoi j’adhère. De toutes façons, la liberté comporte nécessairement des limites, parce que sans limites cela n’a pas de sens dès lors que je suis en Société. Cela c’est presque le côté citoyen, politique, le respect de la Société.

Le Bouddhisme, lui, en invitant à ce précepte va un peu plus loin, parce qu’il considère qu’en fait, tout est relié, et pas seulement les êtres humains entre eux (hommes, femmes et enfants),  mais aussi les arbres, les animaux et les êtres inanimés. Nous sommes reliés profondément, mais nous n’en avons pas conscience. C’est très simple : dès que je pars de « Je pense que… » je suis déjà coupé. On pourrait dire que c’est un type de langage qui n’empêche pas ! D’accord ! C’est une étiquette commode pour permettre de communiquer plus aisément, mais l’oubli de soi-même c’est se mettre en disponibilité d’ouverture, de reliance et d’accueil inconditionnelle.

Si je me mets en pétard pour un rien, cela veut dire qu’à l’intérieur de moi il y a des nœuds non dénoués qui deviennent des postures. Cela veut dire que je ne suis plus dans la nuance, comme si je n’existais que par des excès de postures, alors que le sens critique est forcément un peu dans la nuance. Les oppositions un peu frontales, procèdent de cette forme de relative inconscience.

Si on transgresse les règles de la Société, il y a évidemment un système de sanctions. Et si on est dans le monothéisme, il y a le Jugement de Dieu. Il y a donc des Tribunaux correctionnels, des Cours d’Assise, des Juridictions de police qui encadrent ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.

Dans le Bouddhisme on va plus loin, dans le sens que c’est la conscience du mal que l’on va infliger à autrui, qui est déterminante. Cela impose, forcément, non seulement d’être dans la conscience de l’intérêt de la Société, mais aussi la conscience que l’on inflige à autrui. Cette prise de conscience n’est pas simple. Elle est compliquée, parce qu’elle nous engage à nous oublier nous-mêmes, dans ce qu’on peut avoir de résistance à l’intérieur.

Je ne veux pas entamer une polémique sur les anti-vax dont nous avons déjà parlé ici, mais la question peut se poser. Est-ce que, parce que je fais passer mon Moi d’abord, j’ai suffisamment conscience du mal que je peux infliger à autrui, sous prétexte que, comme il est lointain, ce n’est pas très grave ? Il faut savoir que les hôpitaux sont engorgés par des malades du COVID non vaccinés, et que des patients sont dans l’attente de lits disponibles pour recevoir des soins ou des actes chirurgicaux. Être anti-vax, c’est aussi une posture de défiance vis-à-vis des Institutions.  Si on veut bien se donner la peine de regarder les recherches faites par l’INSERM en France (ce qui représente 15000 chercheurs), on voit bien que tout ce qui est fait sur la thérapie génique depuis 20 ans, n’a jamais tué quiconque, mais a, au contraire, sauvé des vies.

Il y a un problème par rapport à l’éthique de Kant, aux préceptes, et à l’idéal du Bodhisattva qui est : « Les autres d’abord et moi après ». Dans la tradition du Mahayana, parce que le Bouddhisme va au-delà des simples règles de la Société, l’attitude serait de se demander :  « Est-ce que je ne me mets pas en situation de causer un mal plus grand si je ne me fais pas vacciner ? »

Dogen nous indique des règles de conduite dans un texte qui s’appelle :  » Les 4 éléments des principes de relations sociales du Bodhisattva », en Japonais « Bodaïsatta shishobô » :

  • Bodaïsatta signifie « bodhisattva », c’est-à-dire la personne qui recherche la vérité bouddhique ;
  • shi signifie « quatre » ;
  • shobô signifie signifie « les élément des relations sociales », ou « les méthodes de relations sociales ».

Les quatre éléments sont les suivants :

  • « dâna », le don gratuit ;
  • « priya-âkhyâna », s’exprimer avec bienveillance, douceur, compréhension ;
  • « artha-carya », une conduite aidante, ouverte ;
  • « samâna-arthathâ », l’identité de but, c’est-à-dire la cohésion d’une coopération.

Le Bouddhisme accorde une grande valeur à notre conduite réelle actuelle ; c’est pourquoi, notre comportement dans nos relations mutuelles est si important. Dans ce chapitre, Dogen enseigne que ces 4 voies de comportement, sont l’essence d’une vie bouddhiste en termes de relations sociales.

Ces 4 qualités sont la conséquence de cette paix intérieure qu’apporte la pratique, l’examen de soi, le don sans escompte, le fait de donner mais aussi de se donner ; il est évident que ce n’est pas facile, puisque nous sommes le creuset d’influences diverses et variées.

Dans les cours d’instruction civique (quand il y en avait),  pour définir l’abnégation on donnait l’exemple du chercheur qui s’administrait son propre produit,  dans l’oubli total de soi ; il était  son propre champ d’expérimentation. Avec l’abnégation on est au cœur de « s’oublier soi-même » ; ce n’est pas seulement le fait de donner une pièce à un mendiant, être généreux (comme nous l’invite un autre précepte que nous verrons plus tard), mais se donner. Les mauvais politiques, c’est : « Je me sers d’abord et je sers ensuite », alors que les bons politiques c’est :  « Servir l’intérêt général, et non pas se servir ». Déjà, en termes de conduite éthique, on voit qu’il y a beaucoup, beaucoup de boulot, parce que c’est associé à du pouvoir, du prestige. C’est le cerveau animal qui fonctionne : instinct de survie, de reproduction, et de prestige, c’est-à-dire être reconnu comme un gagnant (alors que les autres c’est des pauvres types).

Rien qu’avec ces catégories mentales, on a fabriqué quelque chose qui est de l’ordre de la division. On retrouve le diable : « Je divise ».

Avec les politiques, on est sous l’emprise du mâle dominant avec des effets de meute, et je me refuse, même pas comme une posture éthique, à l’effet de troupeau et à l’effet de dressage. J’entends les exemples inspirants et la richesse du contact, de la vie de l’autre, etc…, mais essayons de faire table rase de tout ça, et recommençons à regarder la réalité, ce qui est déjà difficile, parce qu’on a de tels conditionnements depuis des siècles ! Nous sommes héritiers de tout un tas de trucs. Ce sont les prises de conscience qui sont extrêmement libératrices.

Le cœur du Bouddhisme, c’est d’éviter la souffrance, pas forcément la sienne, parce que quand on est dans la posture auto-centrée, on se trompe ; on pense qu’on s’évite d’avoir mal en accordant une place trop importante à ce qui serait soi-même, et en oubliant qu’on est solidaire et relié. On ne voit pas qu’on est solidaire et relié.

Pour ce qui est des principes de – santé, hygiène, discipline, savoir-vivre, cohésion, politesse, non-violence, respect des autres et de soi-même, bienséance, l’étiquette et les bonnes manières -, tout cela, ce serait plutôt les règles de la Société. Et que viennent faire ici les analyses des positions libertaires ou anarchistes, par exemple ? Ou les Blacks blocs ou les anti-fas ? « Les fascistes sont violents, donc je m’autorise de la violence ».

Dans l’histoire de l’étiquette et des bonnes manières, je me suis beaucoup inspiré de mon passage au Japon, où par exemple, pour se curer les dents, on met la main devant la bouche pour ne pas gêner. Ne pas gêner… Ne pas se curer les dents en public…

Dogen dans « Les règles du nuage lourd » nous rappelle que nous sommes des hôtes et des invités mutuels. Nous sommes reçus par le monde et nous sommes en même temps des hôtes de ce monde : nous recevons l’altérité au sens large, et nous sommes reçus. De façon très concrète, que signifie « Je te prends dans mes bras, je te regarde, je te serre » ? « Je suis solidaire de ta souffrance » ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Le comportement convenable c’est, « Je me mets à ta place ». On est bien au-delà du principe purement sociologique et citoyen de la tolérance ; ce principe n’est déjà pas mal, mais le Bouddhisme a une exigence supplémentaire.

Ce qui est intéressant aussi, c’est que les règles de la Société (le bien/ le mal) dépendent des cultures, c’est fluctuant. On voit de plus en plus maintenant, que tuer des animaux pour les manger, c’est mal, au point que les extrêmes « L 214 Ethique et Animaux », vont jusqu’à asperger les boucheries de peinture rouge. Ces mouvements se disent « réveilleurs de conscience »…

Il est vrai que dans une Société telle que la nôtre, nous n’avons pas conscience des liens invisibles qui existent entre les êtres. Et malheureusement, il faudrait peut-être bien une bonne révolte pour changer les choses.  C’est d’ailleurs  le fondement et la justification de l’épisode de l’Evangile où Jésus chasse les marchands du Temple, que l’on appelle la « Sainte colère ». On pourrait dire « La colère, c’est pas bien », mais il y a des colères saines, comme des révoltes saines…, et des pieux mensonges ! Dès qu’on ouvre la porte à ça, il faut un peu faire attention, parce qu’à ce moment-là, tout est possible, et on peut légitimer n’importe quoi.

Il me semble que la ressource de la paix intérieure est sans doute plus difficile. Elle demande une abnégation intérieure, un oubli de soi pas simple à réaliser, mais c’est beaucoup plus payant. Les prises de conscience sur ces évidences, devraient être enseignées dès l’école.

Il ne s’agit pas seulement de mouler sur nos têtes blondes des « Il faut que », mais de les aider à grandir dans une forme de conscience de l’intérêt d’autrui. Sébastien Bohler dans  « Le bug humain », nous explique que l’écologie ne réussit pas et que le monde risque bien d’aller à sa perte, à cause de ces 3 motifs qui sont profondément ancrés de façon animale dans notre cerveau : La survie, la reproduction et la récompense, avec les circuits de plaisir associés.

  • La survie. Chez les chevaux il se passe quelque chose d’invraisemblable : les jeunes empêchent les vieux de manger si on ne prend pas garde de les séparer. Les chevaux, ça ne partage pas ! C’est quelque chose de très instinctif, que nous avons nous-mêmes dans notre propre schéma neurologique interne. Il est intéressant de prendre conscience que nous avons des conditionnements d’impulsions, qui sont comme des ressorts fondamentaux d’égoïsme : « Après tout, que l’autre crève j’en ai rien à faire ! » (c’est à peine exagéré).
  • La reproduction : sexe et plaisir associé. On peut se demander si l’humanité serait encore là si le plaisir sexuel n’existait pas. On ne s’unit pas forcément pour établir une descendance.
  • La récompense c’est d’être reconnu et devenir chef. Du coup, quand je suis chef et reconnu, j’ai du pognon et je choisis mes partenaires sexuels parmi les plus beaux, les plus costauds, les plus…

Il y a un côté presque attristant dans ces conditionnements-là, parce qu’on est à des années-lumière de « Je me mets à la place de l’autre ».

Le cheval qui ne partage pas… Je ressens de la colère… Je dis au jeune : « Toi t’es pas dressé comme il faut, t’as pas compris », mais lui il s’en fout ! Je suis donc obligé de sortir la badine et alors… Il comprend ! Je la mets juste entre lui et le vieux cheval, et là, chacun bouffe en paix. C’est un truc terrible ! Si on fait une transposition, cela veut dire que nous aussi, on ne comprendrait que la baguette. On peut peut-être essayer de s’élever, non ?

Le phénomène du « dominant-dominé » présente un certain intérêt, parce que quelque part, le dominé y trouve son compte, dans le sens qu’il bénéficie d’une forme de protection. La fonction du mâle dominant, c’est de protéger le troupeau, et donc d’œuvrer à une forme de survie du groupe. Et le dominé, il suit le mouvement !

Je voudrais terminer sur ces 4 éléments de vie sociale harmonieuse que décrit Dogen :

  • Le don sans escompte. Le don gratuit, pas seulement de bien matériel de dharma, mais aussi le don de soi, d’abnégation.
  • Les paroles de bonté. Ce sont des paroles de gentillesse, de compréhension. Le texte de Dogen dit de parler comme si on s’adressait à des enfants. Lorsque j’explique un truc à un enfant, par nature je vais tenter autant que possible de me mettre à sa portée, ce qui consiste à  « se mettre à la place de l’autre » ; « Je me méfie du vaccin, mais je suis conscient du bénéfice social plus grand que Moi ». Cela ne veut pas dire que je perds mon sens critique, mais il y a quelque chose, de l’ordre de la compréhension des problèmes, qui se pose, qui fait que je m’oublie un peu.
  • Les conduites aidantes. Toute la littérature et la posture générale de Matthieu Ricard, concernent l’altruisme. Il y a une idée très intéressante : ce n’est pas seulement l’histoire de « Je reçois une médaille parce que je fais le bien à autrui », c’est surtout une forme de compréhension profonde de l’altérité dont je ne suis pas séparé. C’est un peu compliqué, du fait qu’on est moulé par « Moi c’est moi et toi c’est toi et ça se mélange pas ». Le Bouddhisme ça engage, un peu comme pendant  Zazen, à faire que pendant un temps : « C’est pas très grave… Je ne sais plus où j’en suis… Je ne sais plus qui je suis… J’ai oublié mon nom… C’est pas très grave… Je me sens en harmonie avec tous les êtres ». Sekito Kisen (Chine 700-790) disait :  « J’ai oublié mon petit moi et je suis devenu le monde immense ».

L’expérience du Zazen nous ouvre, tôt ou tard, à cet oubli de soi et donc à cette ouverture, à cet idéal du Bodhisattva, c’est-à-dire « faire reculer de manière concrète les souffrances, les siennes propres et celles d’autrui », justement parce qu’on a laissé tomber ce « Moi Je » qui est encombrant et surtout illusoire et faux.

  • La coopération. La joie d’ « être » et de « faire » ensemble, un peu comme disait Coluche au sujet d’une équipe de foot : »Ils sont 11 et il y a un esprit ». C’est une forme d’harmonie et de cohésion. Cette harmonie et cette cohésion, c’est un trésor souhaitable, pas très coûteux, qui veut dire : « Je m’oublie moi-même, je fais mon expérience par moi-même. Je vois la richesse de l’autre et il m’apprend, mais cela ne m’empêche pas d’exercer un regard critique, un regard de conscience ».

Bienveillance offerte sans esprit de retour, sans calcul, sans penser à « Qu’est-ce que je vais en retirer ? » On n’est plus dans le calcul, on est dans la spontanéité sincère du don sans attente, gratuit, tel qu’il est, parce que l’autre c’est l’autre, et que l’autre c’est un vrai moi-même. Ce n’est pas un sujet de droit, c’est un alter égo complet.

Comme disait Desproges : « Il y a plus d’humanité dans le regard du chien quand il remue la queue, que dans la queue de Le Pen quand il remue son œil ».

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