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L’arrivée au port

Dès que vous êtes assis en zazen, vous êtes arrivé. C’est votre port, votre lieu sûr. Ne cherchez pas ailleurs, jouissez en tranquillement.

« Je fais zazen dans la pénombre du soir. Ma femme m’appelle.
Je ne réponds pas.
Plaisir connu de moi seul », dit un vieux maître japonais.
A y regarder de plus près, il s’expérimente qu’il n’y a ni arrivée ni départ.

Ou que tous les départs sont des arrivées, et toutes les arrivées des départs.

Que sont donc nos pérégrinations ?
« Le Moi est ce par quoi nous avons des tribulations », dit le Tao Te King.
La vie est comparée à un voyage, avec un départ (la naissance), et une fin (la mort).
La naissance ou ce qu’il est convenu d’appeler comme çà. Apparition.
Ma date de naissance correspond au jour où je suis sorti du ventre de ma mère. Un des premiers codes conventionnels d’identification, avec le nom, le prénom, la profession..

Et pourtant, avant, j’étais déjà là, pendant 9 mois de vie intra-utérine, tête d’épingle, petit pois, noisette, noix, abricot, pomme, pamplemousse, citrouille…
Alors, la naissance ?
Serait ce la rencontre, l’union, le mariage du spermatozoïde de Papa (un seul heureux(?) élu sur plusieurs centaines de milliers), et l’ovule de Maman ?
Ce moment magique de l’agrégation scellerait ma naissance, mon début.
Mais alors, l’instant d’avant, je suis partagé en deux, en quatre à la génération antérieure, en huit à celle d’avant, en seize en trente deux..
Je ne suis donc pas issu de « rien ».

Et ma naissance difficile à cerner.

Ma vie sera ce temps d’agrégation en un apparent individu autonome constitué d’incessantes sédimentations. Car dès la première seconde d’union, je ne fais que passer mon temps à fixer des nutriments issus du sang maternel, issus eux mêmes de la nourriture et de l’air de cette dernière. Ceux ci me structurent en une forme selon les codifications de mon héritage génétique, laquelle forme est constamment changeante.
La notion de Moi dans le conscient va arriver plus tard en apparence, appelée conscience, lorsque les matériaux en nombre suffisant permettront  d’élaborer un matériel audio vidéo de mémorisation et d’ enregistrement.
Moi, n’est il pas QUE la somme accumulée et sédimentée de mes mémoires, càd la somme de mes contacts appelée expérience – avec la réalité ?
La naissance est donc davantage un processus qu’un état, tout au plus un repère arbitraire sur un itinéraire.
« A quel moment l’hiver devient il printemps ? » se demandait Dogen.
A l’autre bout de l’apparente apparition, l’apparente disparition, la fin de la vie. Pas la fin du voyage qui est sans fin. La mort, tellement redoutée, gémie, source de souffrances.
En fait, pourquoi en faire tout un drame, alors que je ne fais que retourner d’où je viens ?
Qu’y a t il après la mort ? Question que posent tous les enfants et même les plus grands.
« zazen c’est entrer dans son cercueil » disait Deshimaru. Zazen signe t il donc la fin ?
La réalité simple est que nos agrégats nous quittent pour re-constituer immédiatement d’autres formes.

Et c’est une chaîne sans fin.
Comme disent les anciens sutras indiens, il est reparti dans les champs de l’espace.
L’expérience que chacun fait en zazen est la même : celle que début et fin ne sont que des notions et non la réalité qui est processus mouvant.
Et les notions ne sont que des mirages, des sables mouvants, des vidéos mentales, un langage commun.
Car pendant zazen, la notion de « moi » cède devant la réalité : le sans début ni fin de l’ici & maintenant, l’arrivée au port.
Pas de naissance, pas de mort. Que des mots.
A quel moment l’eau du ciel devient elle source ? A quel moment l’eau du fleuve devient elle océan ? A quel moment l’eau des océans devient elle nuage ?

Jean-Marc BAZY

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