L’homme en déséquilibre se drogue, sans bien souvent sans rendre compte. Ivresses diverses, de jeu , de pouvoir, de sexe (pourquoi vivre d’amour et d’eau fraîche si on peut vivre de sexe et d’alcool?), d’écrans, de travail, de consommation, de croyances, de Dieu et parfois de Dieux du stade ou de rave party. Il semble que nos temps aggravent cette tendance d’intoxication et d’addiction, réponse à nos dépendances, à nos angoisses, à nos tensions ?
Comment retrouver par la raison la liberté ? A quoi sommes nous enchaînés ? Quoique peut être les aimons nous ces chaînes. Certains se comportent en pourceaux satisfaits plus qu’en Socrates mécontents..
Il n’est pas de liberté possible sans connaissance et sans conscience. Et il n’est pas de bonheur possible sans liberté.
Mais cette quête est peut être illusoire (le bonheur et la liberté).
Elle convoque à un humanisme du réel, à une pratique plus qu’à une théorie.
Sommaire état des lieux
« Aujourd’hui sur la planète, 7 milliards d’êtres humains entrent plusieurs fois par jour en relation avec un Dieu qui les aide » (Cyruknik dans Psychothérapie de Dieu). Dieu n’existe pas mais il est partout..
D’un autre côté, en France notamment, un quart de nos concitoyens est sous psychotropes avec un coût délirant pour l’assurance maladie. En 2002 l’assurance maladie remboursait 474 millions d’€ d’antidépresseurs, 146 millions d’€ d’anxyolitiques, 92 millions d’€ d’hypnotiques et somnifères, 220 millions d’€ de neuroleptiques. En 2015 selon les chiffres de l’assurance maladie, sur les 57 millions de bénéficiaires du régime général, le « poids de la santé mentale » c’est à dire le traitement des maladies gravitant autour de la dépression a atteint 19,3 millions d’€ (traitements, prescription, médication) faisant au passage le bonheur de l’industrie pharmaceutique, avec des dépenses versées à plus de 7 millions d’assurés sociaux à ce titre. (Les Echos 31 Mai 2017).
La consommation de Prozac en France augmente de 27 % par an, elle explose en Europe. Un américain sur 10 en consomme régulièrement dès l’age de 12 ans. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les pays scandinaves arrivent en 1er rang (Islande, Norvège, Suède).
La société rêvée du bonheur serait elle la société du Prozac, pilule miracle de la fin de nos maux, réflexe facile remboursé par la sécurité sociale, comme le viagra? De quoi procède cet élan de nos semblables pour exiger et obtenir un droit de créance chimique au bonheur que l’on détiendrait sur la collectivité ? « Qui veut être heureux avec ma pilule ? » clament à l’encan les industries pharmaceutiques sur les foires médiatiques des temples de la consommation médicalisée du paradis retrouvé.
Le narcotrafic représenterait 23 % du PIB du Maroc soit 93 Milliards d’€.
En France il représente 2 Milliards d’€, et l’INSEE réfléchit à l’inclure à notre PIB (pour comparaison le PIB Français est de 2200 Milliards d’€).
Etre heureux serait un processus chimique (ou alcoolique?les lobbies du vin en France). Les labos sont vent debout -en fait- contre les progrès de la méditation de pleine conscience en France qui obtient des résultats significatifs sans chimie sur la dépression (techniques MBCT résultats de guérison de rechute dépressive 60 %, contre 50 % avec les anti-dépresseurs chimiques).
Le prozac est même prescrit pour la ménopause.
Serions nous donc ces seuls pantins mécaniques, uniquement dépendants d’une équation chimique bien résolue ?
« Nul besoin de croire en Dieu, affirmait le Pr Changeux, ancien Président de notre Comité d’éthique, il suffit de dire que l’homme est neuronal ». Nos pensées ? Un peu de chimie organique et quelques électrons. La conscience vérifiable à l’IRMf, les neurosciences et la génétique valident cette approche matérialiste,incluant la poésie et la musique dont on sait aujourd’hui tracer dans le cerveau les circuits de réception. Les émotions elles-mêmes sont étroitement corrélées à nos neurotransmetteurs. Emile Littré disait, déjà au 19ème siècle : « Amour, un ensemble complexe de phénomènes cérébraux ». A la même époque, Marx considère que le tireur de ficelles appelé Dieu n’est qu’un Prozac, qu’il avait prémonitoirement appelé « opium du peuple ». Mais certains pantins s’interrogent : « Qui tire et fait bouger les ficelles qui m’animent » ? Et l’on voit poindre des conceptions très opposées qui posent la question de la foi et surtout des croyances et de ses processus de sédimentation. « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer » disait Voltaire. Pourquoi dit-il cela ? Ou encore : « L’homme n’est-il qu’une bourde de Dieu ? Ou Dieu qu’une bourde de l’homme » s’interrogeait Nietzsche. Et Kant de constater : « Deux choses remplissent le coeur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ».
Pinocchio (le pantin) conçoit et fabrique Gepetto (et non l’inverse).
C’est l’homme qui a crée Dieu et non Dieu qui a crée l’homme.
La stupidité des créationnistes est sans limite ; les textes « sacrés Bible Coran » auraient été dictés par Dieu !
Et cette piteuse histoire d’image et de ressemblance d’où çà sort ? Ou alors Dieu n’est vraiment pas beau si on lui renvoie en miroir les divers génocides, violences, cruautés, bestialités, avarices et égoïsmes qui parsèment régulièrement notre « humanité ».
L’homme-enfant, dans son état actuel d’immaturité, a besoin d’un guide, comme le guide-chaîne de la tronçonneuse, un modèle référent, il ne peut imaginer ou concevoir une horloge sans horloger. Dieu est notre père, puisque nous sommes nés d’un géniteur. Donc le monde a un géniteur dont nous sommes les créatures. Je ne peux être issu de rien, donc je suis une créature divine. Ainsi l’homme écrira la Genèse et la Bible, les Evangiles et le Coran. Régis Debray explique que le sacré surgit de la technologie de la transmission d’informations : le premier livre relié, la Bible, qui inspire jusqu’à la Franc-Maçonnerie fûsse la plus laïque (sur le mode herméneutique comme le courant chrétien libéral contrairement aux interprétations littérales), facilite et dynamise la communication et l’expansion d’un Dieu unique. Tout ce qui ne peut être expliqué par l’équation chimique, le merveilleux, le sacré, l’ailleurs, l’infini, le plus grand que moi, la mort, l’Absolu, l’inconcevable du ciel étoilé, trouvera sa réponse en Dieu. Dieu restera longtemps, sans doute jusqu’à l’apparition de la laïcité, la source de la morale et du comportement social, des interdits et la légitimation des royautés, la référence ultime, la clé entre le bien et le mal, Dieu et le Diable.
La source des croyances, protéiformes, en Dieu, apparaissent comme des imprégnations stratifiées, en dépendance directe avec la culture des parents et des idéalisations sédimentées qu’ils en ont reçues, accumulées et transmises. Et les rituels ont toujours une tendance fâcheuse à devenir dogmatiques et indiscutables. Nous devons nous garder ici de cette tendance que j’appelle la triangulation diabolique. L’attachement à nos propres convictions est la conséquence directe de la qualité, ou de la défectuosité de la relation à nos parents, nos enseignants, nos maîtres, nos guides, nos prêtres, nos modèles. Et si cet attachement devient un point d’ancrage -souvent inconscient – à un idéalisme et qu’il s’y pétrifie comme une adhésion crédule et absolue, on est plus très loin d’une religion intégriste, où tout ce qui n’est pas conforme à cette norme ancrée sera rejeté, combattu, refoulé ou tué (dans des bûchers d’inquisition, des chambres à gaz, des fatwas). C’est un monde de lobotomisés.
Voyage au pays des croyances inconscientes
A quoi et à qui sommes nous inféodés, comme des vassaux dévôts de suzerains tyranniques dans une relation de reconnaissance nourricière et parfois addicive au point que c’est l’alcool qui boit le buveur ?
S’agissant de Dieu, je suis passé par toutes les couleurs de cet arc en ciel, nécessaire voyage initiatique.
Comme beaucoup, je suis né dans une famille catholique et parce que sans défense et aimant ma maman, j’ai étudié le catéchisme, récité le Notre Père et le Credo, et subis qq attouchements d’un curé en mal d’affection et de sexe. J’ai toujours trouvé chez les croyants une étrange fascination pour le mal. (Tariq Ramadan). J’ai cru de bonne foi. Puis est venu le temps du salutaire doute et de croyant je suis passé à athée en révolte soixante huitarde adolescente. J’ai visité le confort intellectuel de l’agnostique et concerné à nouveau par la mort, j’ai visité les chemins de la gnose. Celle-ci est intéressante car elle veut faire l’expérience de la transcendance, ne se contentant pas de la foi inconditionnelle (je ne sais pas pourquoi mais je crois, posture que je n’ai jamais vraiment comprise). Le gnostique est un cherchant. « Qu’est ce que ce monde où je me sens comme en exil ?, qu’est ce que ce rêve de perfection qui m’étreint » disait Basilide au 2ème siècle de notre ère.
Nous nous sentons souvent comme à l’étroit dans notre corps..
Je peux ressentir la vérité de chacun de ces états de croyant, athée, agnostique et gnostique..Si quelqu’un me posait la question où me situerais-je ? Peut-être dans chacune de ces catégories à la fois.. Contradiction ou embrasser les contradictions et comprendre toutes les attitudes qui correspondent à la croissance de l’humanité.
J’ai eu cette chance de rencontrer au Japon un maître zen Nishijima qui considérait que l’humanité n’était pas sortie ou à peine de l’enfance..
La Voie du Milieu
La vie est précieuse. Infiniment précieuse. Peut-être devrions nous dire le temps de la vie est infiniment précieux . Avec des conditions : un socle de bonne santé, sans quoi nous perdons dignité et lucidité, ou une partie de nos plus belles capacités ; une nourriture saine ; une liberté de penser ; une éducation pour tous dénuée de tout dogme ; un environnement sain ; une vie affective pleine ; une société de paix. A défaut de ces conditions, la vie peut devenir un enfer.
La vie est trop précieuse, trop rare (mesurons nous suffisamment que notre état normal n’est pas d’être ce corps humain qui porte une potentialité élevée de conscience durant le temps de sa mâturité et que notre état normal est probablement d’être éparpillé en poussière -d’étoiles- si on est romantique, d’atomes dispersés si on est scientiste) ? Quelle est notre conscience dans cet état?
Quelle est la nature de ces « forces de l’esprit »auxquels croyait François Mitterrand dans une sorte d’élan mystique ? Ces mêmes forces capables d’engendrer une extraordinaire technologie et un obscurantisme délétère. L’esprit est comme la langue d’Esope.
La vie est trop précieuse pour être confiée à l’idéalisme, appelons le Dieu pour désigner le plus grand que soi, ou au matérialisme, que j’ai appelé Prozac, mais que l’on pourrait tout aussi bien appeler opium ou alcool. La vie est trop précieuse pour être confiée à des êtres aussi incertains, peu fiables et évanescents. Les addictions à Dieu ou au Prozac, ou à tout le moins les recours à eux nous conduisent au rêve, c’est à dire à l’inconscience du mirage, ce que veulent les multinationales ou l’ancien PDG de TF1 Mr Le Lay qui se targuait avec cynisme assumé de « vendre aux publicitaires des espaces de cerveaux disponibles ».
Nous devons dans un examen de nous mêmes (s’étudier soi même inscrit au fronton du Temple de Delphes) fouiller loyalement les soubassements de nos conditionnements, de nos totems, de nos idoles, de nos archétypes. Et surtout ceux qui sont le plus enfouis, les moins visibles et les plus influents. Cela devrait être la tâche de l’apprenti maçon.
L’adhésion par nature aveugle et inconsciente à cette norme ancrée, qu’elle soit idéaliste ou matérialiste, emporte les mêmes ravages : pogroms, camps de concentration, purifications ethniques, génocides, guerres, ou rêve d’un homme augmenté. Pouvons nous avec le clone que la science sait nous fabriquer avoir une usine de pièces de rechange et fabriquer l’homme éternel ? Tous les rêves de perfection sont des voies d’enfer, corrélés à la propension de l’intolérance.
La philosophie consiste à conformer sa conduite à sa raison, la vertu est le suprême bien, où dompter ses passions, faire de la justice un souverain bien et aimer ou en tous cas tolérer son prochain sont des principes.
La ou les religions, au moins en tant que phénomène social propose la même chose mais par une obéissance sotériologique (doctrine de salut) aux préceptes religieux.
Pour une éthique de la conscience, pour une pratique du réel
Alors quel choix pour notre aspiration au bonheur? Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (qui est à nos portes) -Prozac- référentiel scientifico-matérialiste, ou un monde dominé par les religions ou le prêt à penser du tyran qui gouverne dans l’ombre dicte nos conduites en perspective d’un idéal par nature mirage ? Les rituels présentent le risque d’empêcher de penser. Sans compter qu’il existe une sorte de matérialisme spirituel où l’on vend le bien être «(la merchandisation de la Méditation de Pleine Conscience en est un dernier exemple).
Ni l’un ni l’autre. Car l’un et l’autre sont disqualifiés. Voilà ce qu’enseigne l’introspection verticale silencieuse, marque du grade d’apprenti en FM, pratique patiente où la conscience et la liberté de penser sont convoquées, du silence méditatif qui est observation pure non clivante mais qui conduit à une forme d’homéostasie, d’équilibre intérieur, source des sagesses. C’est mon intuition que c’est cette pratique qui en est la source.
D’Edmond Rostand (« pas d’âme sous mon scalpel »), à Edouard Zarifian (« Ecoute moi mon semblable, mon frère, tu as peur parce que tu te crois faible, parce que tu penses que l’avenir est sans issue et la vie sans espoir…Pourtant, tu as d’authentiques paradis dans ta tête et ce ne sont pas des paradis chimiques… »)
Les paradis ne sont pas dans la tête, ni dans les idéaux totalitaires, ni récompense offerte par Dieu ou procurée par le Prozac. Le seul paradis qui puisse exister est ici & maintenant, à chaque instant : « Chaque jour est un bon jour, chaque moment est un bon moment » dit un vieux maître zen. Ou encore cette maçonnique parole du Bouddha : « Il n’y a ni profane ni sacré, il n’y a que l’instant présent ». L’instant présent est le seul lieu possible de nos existences, et que nous le voulions ou non, nous vivons dans cette réalité. Nous n’avons pas d’autre domicile et nous avons à vivre cet étrange passage potentiellement lucide avec soin car la Vie est une formidable curiosité éphèmère.
C’est ce à quoi engagent les pratiques dites « méditatives » qui sortent heureusement de l’ornière un brin alternative, des défiances diverses et variées de notre Occident qui a trop longtemps oscillé entre un idéalisme platonicien méditerranéen dont se sont repues les religions monothéistes et un scientisme salutaire mais parfois réducteur qui a cantonné ces pratiques à des endoctrinements sectaires.
Méditer c’est observer, silencieusement (condition nécessaire mais pas suffisante), en convoquant tous ses capteurs d’intelligence, de sensibilité et de raison la réalité telle qu’elle est. C’est une œuvre lucide, humaniste, pacifique, courageuse, rationnelle dont la Maçonnerie devenue trop souvent spéculative s’enrichirait, elle qui a perdu, le vrai contact avec le « métier », l’ouvrage, les mains dans la glaise. Corps et esprit ne sont pas séparés : un esprit sans corps est un fantôme, un corps sans esprit est un cadavre. C’est la Voie du milieu qui mérite à elle seule une suite. Car je ne veux être ni dans la logique du troupeau ni dans la logique du dressage.
Relevez vous Monsieur et que ce soit la dernière fois que vous mettiez un genou à terre.
Jean-Marc BAZY