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Gnose et méditation

Thomas m’a toujours été un apôtre sympathique, celui dont je me suis toujours senti le plus proche. Parce qu’il doutait et ne voulait croire que ce qu’il voyait, pas ce qu’on lui racontait.

Il lui fallait toujours, à la façon du Bouddha qui disait : « Ne croyez pas ce que je dis, faites l’expérience par vous-même« , toucher et expérimenter par lui-même.

1945, à Nag Hammadi (Haute-Egypte) : un paysan effectue une découverte fortuite, 53 manuscrits écrits en copte (grec ancien) qui commencent par « Voici les paroles cachées que Jésus le vivant a dites et qu’a transcrites Didyme, Judas, Thomas« .

114 paragraphes nommé « logions » attribués à Jésus, rapportés par Thomas, les évangiles gnostiques dits apocryphes parce que dérangeants.

Paroles énigmatiques comme des koans japonais mais lumineuses dès que les clefs de lecture apparaissent.

Quelles sont ces clefs de lecture ?

La clef de lecture principale est la méditation et cela, en immédiate percée au cœur de l’homme.

La source et la conscience pure, que THICH NATH HAN appelle la pleine conscience, celle qui est là quand plus rien n’est là quand toute chose révèle l’unité, lorsque la dualité a cessé.

C’est le but ultime de la gnose, que la tradition bouddhiste appelle « éveil ».

Contrairement à la croyance ( acte de foi issu d’une conception idéalisée, imaginée mais non vérifiable), la gnose est chemin de connaissance et d’expérimentation.

Les commentaires de ces 114 logions ont été l’objet d’études (* voir bibliographie ci-après) dèjà approfondies.

Mon propos est seulement de vous livrer quelques étranges aperçus dont la consonance est troublante entre l’expérience et l’enseignement de l’homme Jésus et l’expérience et l’enseignement des Bouddhas et patriarches du Zen.

Ce qui me conduit à affirmer ce que mon intuition me chuchote depuis longtemps : tous les grands sages de l’humanité : le Bouddha, Jésus, Mahomet, Bodhidharma, Moïse, sont des êtres humains qui, par une pratique d’ introspection intérieure silencieuse dans des retraites désertiques, de dépouillement de renoncement et d’ abandon de soi, ont fait percer les fondements des grandes lois éthiques, mais que leurs observateurs ont avec emphase et / ou maladresse de traduction, mis sur un piédestal, idéalisés, de sorte que ces grands êtres humains sont devenus prophètes, des fils de Dieu.

Je voudrais enfin redire , que ma pratique du zen a bouleversé ma vie qui s’est éclairée d’un seul coup où plus rien désormais ne reste dans l’ombre n’ est source de souffrance et où je trouve la foi longtemps cachée, espérée et doutée comme la gnose.

Je vous invite donc à partager quelques consonances au travers de quelques exemples plus ou moins choisis au hasard de la lecture de ces 118 logions.

1. Le triomphe de la mort

Logion 1 – Jésus a dit : « Celui qui trouvera l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas à la mort« .

Logion 18 – Les disciples dirent à Jésus : « Dis-nous comment sera notre fin« . Jésus dit : « Avez-vous donc dévoilé le commencement pour que vous cherchiez la fin ? car là où est le commencement, là sera la fin. Heureux celui qui se tiendra dans le commencement et il connaîtra la fin, il ne goûtera pas de la mort« .

Logion 85 – Jésus a dit : « Adam est issu d’une grande puissance et d’une grande richesse et il n’a pas été digne de vous car s’il avait été digne, il n’aurait pas goûté de la mort« .

Logion 111 – Jésus a dit : « Les cieux s’enrouleront ainsi que la terre devant vous et le vivant issu du vivant ne verra ni mort ni peur parce que Jésus dit : Celui qui se trouve lui-même, le monde n’est pas digne de lui« .

Il est peu de dire que notre vie est empoisonnée par le problème de la mort, que l’homme rêve d’éternité, que nombre de religions proclament la vie éternelle.

A y regarder de plus près, la mort est destruction d’un corps apparent qui marque la fin d’une identité ou d’un ego.

Or, la plupart d’entre nous identifient à une conscience incarnée ce corps périssable. La conséquence de cette identification est la peur de le perdre ou est l’une des origines possibles de la souffrance.

Pendant Zazen, je touche, j’expérimente ce qui n’a ni commencement ni fin. Je laisse même tomber le concept d’apparition et d’extinction ; comme le dit le sutra du cœur, il n’y a ni conscience, ni non conscience, ni apparition, ni extinction, il n’y a que la réalité ici et maintenant.

Toutes les notions de début et de fin, de temps long ou de temps court, de temps qui n’en finit pas, de temps qui dure, sont étroitement reliées aux perceptions mentales auxquelles nous nous identifions comme une réalité substantielle, identification qui est « lessivée » pendant la méditation.

Ainsi le temps n’est rien d’autre que des mouvements mentaux.

Dogen fondateur du zen Soto nous dit ». Vie et mort ne sont que des moments. » (L’être temps du Shobogenzo).

Einstein dit : « Les gens comme nous qui croient en la physique savent que la distinction entre passé, présent et futur n’est qu’une illusion bornée et opiniâtre« .

Krishnamurti : » passé, futur, ne sont que noms, formes de pensées, mots d’usage courant, simplement des réalités superficielles. »

Jésus qui avait fait cette expérience, et avec les mots de son époque, affirme dans cet évangile prétendument apocryphe la même chose.

Logion 84 – Jésus a dit : « Les jours où vous voyez notre forme, vous vous réjouissez mais lorsque vous verrez vos modèles qui au commencement étaient en vous, qui ne meurent ni ne se manifestent, ô combien supporterez vous !«

Ainsi celui qui garde sa lucidité s’agissant de sa véritable nature (dite de Bouddha), ce lieu de la forme de son visage avant la naissance de ses parents selon le koan zen célèbre n’oubliera pas qu’un commencement et une fin ne sont que l’état momentané d’un ego, ne le concerne pas et ne goûtera pas la mort.

Il est dit de même dans le Shodoka : » j’ai traversé montagnes et vallées, j’ai rencontré des maîtres Zen et depuis que je pratique la méditation, vie et mort ne me concernent pas. «

Cet état transcende vie et mort et la conscience même de l’instant présent dans lequel les concepts de vie et de mort sont différents de la réalité qui est en face de nous.

Ce qui est expérimenté par la pratique de Zazen est ce que vit classiquement le gnostique qui est cherchant,souffrant et persévérant, selon les mots du RER.

Le zen enseigne que l’expérimentation de la souffrance peut être un aiguillon salutaire, un indicateur de direction, d’expérimentation et un dépassement. Alors le vivant issu du vivant ne verra ni mort ni peur.

Logion 113 : ses disciples lui dirent : « Le royaume, quel jour viendra-t-il ? » Réponse : – Ce n’est pas en guettant qu’on le verra arriver, on ne dira pas, Voici, il est ici ou Voici, c’est le moment, mais le royaume du père s’étend sur la terre et les hommes ne le voient pas.

Là encore un des classiques de la méditation, de l’enseignement du zen, est d’observer dans le silence que le mouvement de son mental nous fait constamment zapper l’instant présent, soit pour tenter de rejoindre un passé nostalgique, soit pour imaginer un futur hypothétique. Dans les deux cas, il ne s’agit que de projection imaginée, espérée, idéalisée dans le monde irréel de nos pensées.

C’est pourquoi il est réputé que la pratique de Zazen est sans attente.

Ce renversement de nos habitudes ancrées est précieux, il nous engage violemment à un retournement où espoir et attente ne sont que des illusions trompeuses.

Ce que dit Jésus précisant : « Ce n’est pas en guettant le royaume qu’on le verra arriver. Au contraire, le royaume est ici et maintenant sur la terre« .

Ce que dit d’une autre façon Jésus au Logion 109 :

Jésus a dit : « Le royaume est comparable à un homme qui avait dans son champ un trésor caché qu’il ne connaissait pas, et à sa mort il le laissa à son fils. Le fils ne savait pas, il prit ce champs et le vendit. Et celui qui l’avait acheté vint. En labourant il trouva le trésor et commença à prêter de l’argent à usure à qui il voulut« .

Le trésor est l’action dans l’instant présent, ce qu’enseigne également la pratique de Zazen.

Ce logion 109 ressemble également à une histoire célèbre du zen et du bouddhisme de la pierre précieuse cousue à l’intérieur de la doublure du vêtement de celui qui se croyait pauvre.

Poursuivant nos idéaux illusoires issus de notre imaginaire, nous perdons notre vie et notre temps et passons à côté du trésor que nous voulons, parce que nous le cherchons.

Ce que dit également Jésus au logion 91 :

Il lui dirent : « Dis-nous qui tu es afin que nous croyions en toi« .

Il leur dit : « Vous sondez le visage du ciel et de la terre et celui qui est devant vous, vous ne le connaissez pas. En ce moment-ci, vous ne savez pas l’apprécier« .

Dans la séquence de la non attente, les paroles de Jésus sonnent comme un fouet.

Logion 95 : Jésus a dit : « Si vous avez de l’argent, ne prêtez pas à usure mais donnez à qui ne rendra pas« .

Jésus est iconoclaste, à la façon des Maîtres du Zen.

Ils affirment : « Si tu vois le diable, tues-le, si tu vois le Bouddha tues-le aussi« , et Jésus dit, logion 101 : « Celui qui ne récuse son père et sa mère comme moi ne pourra se faire mon disciple. Celui qui n’aime son père et sa mère comme moi ne pourra se faire mon disciple car ma mère m’a enfanté mais ma mère véritable m’a donné la vie« .

Légion 41 : Jésus a dit : « A celui qui a dans sa main on donnera. A celui qui n’a pas, même le peu qu’il a on le prendra« .

Pour décaper nos attachements, les Maîtres du zen enseignent : Il faut donner aux riches et prendre aux pauvres, pour échapper au cycle des 8 vents (à l’intérieur desquels gain et perte ): il n’y a rien à gagner, il n’y a rien à perdre.

Il n’y a rien à attendre, dès que l’on attend, on espère et l’on tombe inéluctablement dans la dualité.

2. Expérience de l’unité

Chacun peut éprouver au début, de façon plus ou moins fugitive, par éclairs, la perception de la non séparation.

Celle-ci apparaît généralement dans des moments de dépassement de soi, dépassement de son propre ego, une montagne de neige qui se détache sur un ciel bleu par un matin d’hiver, musique, poème, amour, et c’est pourquoi l’art est aussi précieux.

Cette expérience de l’unité, Jésus la rappelle, via le mécanisme du rejet, au logion 66 :

Jésus a dit : « Montrez moi la pierre que les bâtisseurs ont rejetée ». C’est elle la pierre d’angle que les bouddhistes connaissent, dans la symbolique du lotus dont la merveilleuse fleur ne peut vivre qu’ avec des racines dans l’eau fangeuse..

Tout l’enseignement du Zen tourne autour de l’apprentissage de la non séparation.

Logion 5, Jésus a dit : « Connais celui qui est devant ton visage et ce qui t’es caché te sera dévoilé car il n’y a rien de caché qui ne se manifestera« .

Logion 11 : « Tant que vous étiez 1 vous avez fait le 2 mais alors étant 2, que ferez-vous ?«

Logion 22 : « Quand vous serez le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans et le haut comme le bas afin de faire le mâle et la femelle en un seul, alors vous irez dans le royaume« .

Logion 23 : Jésus a dit : »Je vous choisirai un entre mille et deux entre dix mille et debout ils seront un« .

Logion 30 : Jésus a dit : »Là où il y a trois dieux, ce sont des dieux, là où il y a deux ou un, moi je suis avec lui« .

Logion 112 : Jésus a dit : « Misérable est la chair qui dépend de l’âme, misérable est l’âme qui dépend de la chair« .

Ici je rappelle à l’instar des Maîtres du zen et de la méditation, l’unité fondamentale du corps et de l’esprit dont on ne peut tracer une frontière sûre. Fondamentalement corps et esprit ne font qu’un.

3. L’expérience de la souffrance

La déconvenue et la désillusion sont des chances, ce sont elles qui permettent d’entreprendre le chemin.

Logion 68 : Jésus a dit : « Soyez heureux quand on vous hait ou qu’on vous persécute et on ne trouvera nul lieu à l’endroit même où l’on vous a persécuté« .

Ceci me fait penser à une réflexion de Kodo SAWAKI : « Si je suis sensible à la calomnie ou à la diffamation, comment pourrais-je m’harmoniser avec le non né ?« .

Légion 69 : Jésus a dit : « Heureux sont-ils, ceux que l’on a persécutés dans leur cœur, ce sont ceux-là qui ont connu le père en vérité, heureux les affamés lorsqu’on rassasiera le ventre de qui veut« .

4. L’instant présent : réalité

Tout méditant fait l’expérience, de gré ou de force, de la plongée continuelle dans l’instant présent, impermanent et immuable.

Légion 42 : Jésus dit : « Soyez passants » .

Comment ne pas évoquer les premiers enseignements reçus dans la méditation « En zazen, laissez passer les pensées ».

Ces pensées sont trompeuses et nous volent notre vie, nous entraînent ailleurs qu’ici et maintenant, Jésus exprime la même chose au logion 21 : « C’est pourquoi je dis si le maître de maison sait que le voleur vient, il veillera avant qu’il n’arrive et il ne le laissera pas percer un trou dans la maison de son royaume pour emporter les affaires« .

Toutes les pensées qui nous emmènent ailleurs qu’ici et maintenant sont des pensées de pillage, de vol de l’instant présent.

Même logion 21 : Jésus continue de façon tout aussi saisissante : « Quant à vous, veillez en face du monde, prenez appui sur vos reins de toutes vos forces de peur que le pillard ne trouve un chemin pour venir vers vous« .

J’entends encore résonner à mes oreilles les premiers enseignements concernant la posture de Zazen : « Rentrez le menton, tendez les reins« .

La projection mentale nous fait déserter l’instant présent. Par cette attente on désinvestit le réel, et moins l’on obtient, puisque l’on demeure dans une fixation imaginaire dont il faut apprendre à se désengager par la lucidité de zazen.

Logion 51 : Ses disciples lui dirent : « Quel jour le repos de ceux qui sont morts viendra-t-il ? et quel jour le monde nouveau viendra-t-il ? » Jésus leur dit : « Ce que vous attendez est venu, mais vous, vous ne le connaissez pas« .

Ainsi, cet évangile gnostique nous renvoie-t-il à cet état de candeur innocente, de vacuité qui accueille les propriétaires de rien et qui ne cherchent même pas à connaître .

Dans cet évangile de Thomas, Jésus nous engage au détachement de nos liens trop forts avec l’esprit de l’enfant, comme dirait le zen l’esprit du débutant.

Logion 4, Jésus dit : « L’homme vieux dans ses jours n’hésitera pas à interroger un tout petit enfant de 7 jours au sujet du lieu de la vie et il vivra parce que beaucoup de premiers se feront derniers et ils seront un« .

Et un maître du zen en écho nous dit : un vieillard de 80 ans peut ne pas comprendre, une fillette de 7 ans m’enseigner.

Jean-Marc BAZY

Bibliographie (*)

  • Evangile selon Thomas édité par l’Association METANOÏA, Ed. Dervy
  • Paroles de Jésus et sagesse orientale de Emile GILLABERT, Ed. Dervy
  • Jésus et la gnose de Emile GILLABERT, Ed. Dervy
  • Evangile de Thomas traduit et commenté par Jean-Yves LELOUP, collection Spiritualité vivante, chez Albin MICHEL
  • Les évangiles secrets de Elaine PAGELS, chez Gallimard.
  • Paroles gnostiques du Christ Jésus par André WAUTIER, Ed. GANESHA
  • Evangile selon Thomas de SWAMI, SHRADDHANANDA GIRI, Ed. Les Deux Océans
  • Enquête sur la gnose, Henri-Charles PUECH, Ed. Gallimard.

Jean Marc Bazy

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