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01- Les origines de la réincarnation

Dans mes recherches à propos des origines historiques de la doctrine de la réincarnation, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas de religion ou de courant spirituel qui n’affirme pas, de près ou de loin, le principe de quelque chose qui survit au corps, ou qui se transmet. En ce qui nous concerne, nous sommes très imprégnés de culture chrétienne au sens large, qui nous parle de vie éternelle. On ne sait pas très bien ce que cela signifie, mais en tout cas, c’est une promesse.

Nous allons commencer par les origines antiques, afin de bien comprendre l’idée de réincarnation. En fait, ce sont des notions voisines, comme par exemple, le « retour à une incarnation », qui suggèrent une forme de survivance après la mort.

On comprend tout de suite, l’utilité évidente de ce concept de survivance : la promesse d’un « mieux, après », cela aide à supporter les désagréments et les horreurs de l’existence. Cela engage, la plupart du temps, à une dichotomie, c’est-à-dire à une opposition entre deux dimensions : l’une qui est strictement matérielle, et l’autre qui serait de nature immatérielle (un esprit, une âme, une conscience, une énergie).

On constate d’expérience, par la force des choses, que tout ce qui a une nature matérielle est soumis à la loi du changement, à une forme de destruction, alors que l’âme, elle, serait éternelle. Cela se traduit par une expression grecque qui dit : « Le soma (corps) est caduc, alors que le germe (autre nom de l’âme) est éternel ».

Cette affirmation de la destruction inévitable du corps et de l’immortalité de l’âme, suggère une sorte de dualité entre le corps et l’esprit, alors que dans l’univers bouddhiste, cette dualité n’existe pas. Des écoles considèrent même, que tout ce qui est de l’ordre de la croyance en une âme, un esprit, est une fiction, et la fiction décortiquée, tourne autour de la notion d’ « ego ». Evidemment, si cet égo s’affirme d’une façon un peu trop forte, non seulement l’illusion est majeure, mais cela fabrique des conflits de façon inéluctable. Le fait d’être égocentré, c’est devenir progressivement étanche, sourd et aveugle aux problèmes d’autrui. Dans les mécanismes de dépression, on a constaté que le sujet se constitue une sorte de peau épaisse, comme s’il avait reçu l’information de protéger son égo.

Quelques définitions :

  • Métempsychose : après la mort, l’esprit va habiter un autre corps qui peut être humain, animal, végétal ou minéral.
  • Réincarnation : après la mort, l’esprit va habiter un autre corps humain.
  • Transmigration : l’Etre, qui n’est ni un égo, ni une âme, ni un esprit, change d’état, mais ne redvient jamais humain.
  • Palingenèse : nouvelle naissance, ou genèse de nouveau.

Pythagore dit : « Ce qui a été renaît ». Il affirme cela, sans qu’il y ait de notion de rétribution. La naissance est une sorte de loterie, le fruit du hasard. Il n’y a aucun jugement moral, de rétribution ou de récompense, alors que chez certains Bouddhistes, on dit : « Tant que tu ne te seras pas libéré de tout désir, tu te réincarneras ». Les histoires d’éternel retour c’est plutôt une charge, on cherche plutôt à cesser de revenir, c’est-à-dire l’état de Nirvana.

Les théoriciens disent : « Chez les Bouddhistes, on pourrait plutôt parler de métensomatose ».

La métensomatose est le passage d’un corps à l’autre, ce qui serait sans doute plus juste ou en tout cas plus compréhensible rationnellement, que la dichotomie. Il y a une transformation ; ce n’est pas une âme qui quitte un corps, c’est le corps qui se redistribue. Cela fait penser à la nourriture qui devient « nous », bien que l’on ne s’en rende pas compte, quand on mange de manière inconsciente un animal mort, par exemple. Lorsqu’on achète une tranche de jambon, on ne réalise pas qu’il s’agit d’un bout de cuisse de cochon ; on en a oublié l’origine, on n’a plus la conscience de ce que c’est vraiment.

Dans le Bouddhisme, il n’y a ni âme, ni moi, qui sont des illusions d’optique. Ce sont des désignations commodes, mais qui ne sont pas la réalité. Le moi s’éteint dans la vacuité.

Le Bouddhisme tibétain parle des Tulkus ; ce sont des personnalités qui sont reconnues comme des réincarnations de Lamas disparus, par des façons de faire identiques, des préférences, des manières d’être que l’on qualifie, faute de mieux, « d’ensembles psychologique identifiables » ; ce sont ces « ensembles psychologiques » qui se réincarnent et peuvent se retrouver dans une ou plusieurs personnes. Le film « Little Bouddha » illustre très bien ce phénomène ; c’est l’histoire de trois enfants qui sont reconnus comme étant la réincarnation d’un Lama, après avoir, entre autres tests, identifié des objets qui lui ont appartenu.

Le phénomène des Tulkus pourrait être associé à cette sensation de « déjà vécu », comme par exemple : « Je me promène dans un lieu que je n’avais jamais vu, qui n’est pas dans ma bibliothèque de mémoires, mais où je me sens chez moi ». Selon le Bouddhisme tibétain, cette impression est générée par une communauté d’identités psychologiques qui, de temps en temps, viennent nous percuter. C’est très dérangeant, et ça nous fait dériver sur cette idée que : si j’ai cette sensation de « déjà vécu », c’est que je « l’ai déjà vécu ».

On retrouve le même phénomène dans le Shivaïsme cachemirien. J’ai trouvé un texte intitulé « Comment reconnaître un Tulku ? » qui dit :

  • Un Tulku est un Bouddha ou un quasi-Bouddha, qui choisit de naître parmi nous, pour nous aider. Les Tulkus sont donc des êtres spéciaux extraordinaires, le cinéma en parle, la presse, les livres, les documentaires… Sous sa forme institutionnalisée, principalement tibétaine, ce phénomène miraculeux a été développé, au point de susciter de nombreuses cabales et scandales.

Qu’est-ce qu’un Tulku ? C’est une manifestation de la nature de Bouddha, la réalité recouverte par nos projections imaginaires. Or, tout est une manifestation de la réalité, tout est la réalité, donc, tout est Tulku. La vie la plus banale est manifestation de notre vraie nature, mais nous n’y prêtons pas attention. Par exemple, ce corps et ce bras qui écrit en ce moment, sortent de la vacuité claire et transparente, illimitée, qui s’ouvre au-dessus de nos épaules. Le corps et tout le reste apparaissent dans cet espace immaculé, sans effort, sans imagination, et dans le silence total, simple. Tout est Tulku, reconnaître cela instant après instant, c’est savoir reconnaître un Tulku.

Extraits de textes du Dzogchen :

  • La naissance et la réalisation, le temps que nous passons dans la matrice et l’expérience de l’espace du réel, l’unité du corps et de l’esprit et l’union de l’espace et de la conscience, la vie dans un corps, ce sont les trois corps d’un Bouddha.
  • Grâce à la vieillesse les projets et les projections illusoires cessent, grâce à la maladie nous comprenons ce qu’est la vie, grâce à la mort, nous pouvons reconnaître la vacuité. Tous les êtres sont donc des Bouddhas.

On pourrait dire : « Je me rends compte de ce que j’ai, au moment où je le perds ».

Un jour, je vous ai demandé de réfléchir sur l’idée de : « La mort est notre état normal », en extrapolant sur le fait que le temps cosmique est infini, et que notre tranche de vie est hyper courte. Si on prend conscience de ça, on va essayer de moins gaspiller le temps qui nous est imparti.

Le philosophe Vladimir Jankelevitch (Bourges 1903 – Paris 1985) a écrit un texte assez intéressant :

  • Le fait d’avoir été est au moins inaliénable. Personne ne peut nous en priver, ni le contester, personne ne peut le refuser à personne. On peut matériellement m’enlever l’être, mais non pas minimiser d’avoir été. Le mort ne peut plus revenir à la vie, mais celui qui a vécu ne retombera jamais plus dans le néant prénatal. L’irréversible qui empêche la résurrection, empêche sa nihilisation. Du moment que quelqu’un est né, il restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas dire quoi.

Nous ne pouvons plus faire désormais, comme si ce quelque chose était inexistant en général ou n’avait jamais été. Jusqu’aux siècles des siècles, il faudra tenir compte de ce mystérieux « avoir été ».

Il donne cet exemple :

  • Celui qui a été, est sauvé de l’inexistence éternelle. Cet « avoir été », est comme le fantôme d’une petite fille inconnue, suppliciée et anéantie à Auschwitz, un monde où le bref passage de cette enfant sur terre, a eu lieu désormais. Ce qui a été, ne peut pas « ne pas avoir été ».

Mais il est où ? Dans notre mémoire ? S’il n’est pas dans notre mémoire, est-ce qu’il existe seulement ? Cela renvoie à un Koan Zen très rigolo, mais très puissant :

  • Quel est le bruit d’un arbre qui tombe, s’il n’y a personne pour écouter le bruit ?

Empédocle, né à Agrigente en Sicile en 490 av. JC, est mort en 430 av. JC (en se jetant dans l’Etna dit la légende). C’est un Présocratique, qui a vécu à peu près à la même époque que le Bouddha historique. Ce personnage qui était à la fois philosophe, poète, ingénieur, médecin, a élaboré une théorie du monde. Il pose comme principe gouvernant l’univers, l’amour et la haine. Un peu comme Dante qui dit que c’est l’amour qui fait tourner le soleil et les étoiles, Empédocle déclare :

  • Ce qui fait bouger l’univers comme un archétype, c’est l’amour et la haine.

L’amour et la haine, ce sont tous les processus d’attraction et de répulsion. Pour Empédocle, c’est quasi « chimique », mais on pourrait ajouter « hormonal ». Ce sont ces tentatives de fusion ou au contraire de distension, qui font les mouvements, au travers des 4 éléments. Cela joue ensemble, et compose toute chose.

L’amour c’est la force et l’énergie d’unification et de cohésion qui fait tendre toute chose vers l’unité. Ce qui est fascinant, c’est qu’on a découvert depuis, que le cosmos est en expansion, c’est-à-dire que les galaxies s’éloignent les unes des autres ; elles semblent fuir une sorte d’unité qu’elles avaient probablement à un moment donné.

La haine fait penser au diable, c’est-à-dire à celui qui divise. C’est une force de division et de destruction, qui fait tendre vers le multiple. On pourrait en conclure que l’invitation biblique « croissez et multipliez », fait croître vers la haine…

Je décris ici la théorie d’Empédocle que, comme un pied de nez, je mets en parallèle avec le « croissez et multipliez ». En fait, du point de vue d’Empédocle, la tendance à la multiplicité est un processus qui ne se maîtrise pas, un phénomène qui nous dépasse. Il élabore une théorie du monde où il essaie de découvrir « comment ça marche ». Il essaie de comprendre l’architecture de l’univers, son schéma, et aboutit à cette pensée originale :

  • Il y a deux principes qui gouvernent le cosmos : le principe de division de toute chose, et le principe de réunification de toute chose, mais cette réunification passe par un moment de destruction.

Dans ce contexte, on a trouvé des poèmes qui dénient la création d’un monde ex nihilo. C’est ce qui est intéressant, parce que les Bouddhistes sont exactement dans cet ordre de pensée : « Rien ne peut naître de rien ». Il y a toujours une cause précédente à quoi que ce soit. C’est rationnel, alors que dans la Bible il y a une puissance, Dieu, qui crée : le premier jour la terre, le deuxième jour… C’est symbolique, mais le problème c’est que Dieu « part de rien »…

Empédocle, lui, croit en la transmigration des âmes, et conçoit le cycle des naissances comme une expiation. Dans un poème il dit :

  • Car je fus pendant un temps, garçon et fille, arbre et oiseau, poisson muet dans la mer ».

Et il en tire une conséquence que l’on peut lire dans ses textes (les fragments qui ont été retrouvés) :

  • Puisque j’ai déjà été tout cela, c’est un acte criminel, quasi anthropophage, de manger de la nourriture carnée« .

C’est une théorie, mais ce qui est troublant, c’est qu’il tombe sur une sorte de constat rationnel : « Rien ne peut naître de rien ».

L’Orphisme est un courant religieux de la Grèce antique. On dit que c’est une théologie initiatique. Il s’agit du mythe d’Orphée qui descend aux Enfers pour en faire sortir son épouse Eurydice qui est morte de la morsure d’un serpent. Pluton, le maître des lieux, l’autorise à repartir avec Eurydice, mais il le prévient : « Prends garde à ne pas te retourner avant d’avoir quitté le Royaume des morts, sinon elle va disparaître ». Mais dans son impatience, Orphée se retourne alors qu’Eurydice est encore dans l’ombre, et elle disparaît.

L’âme est condamnée à un cycle de réincarnations dont seule une initiation pourra la libérer.

Dans l’Orphisme, la naissance est un choix. C’est quelque chose d’étonnant : on décide d’apparaître, ou quelque chose de plus puissant décide qu’on va apparaître sous une forme quelconque.

L’Orphisme défend le principe de Palingénésie, c’est-à-dire que tout n’est que nouvelle naissance. C’est également le point de vue des Bouddhistes.

Ce qui est curieux c’est que ces doctrines, qui sont apparues 500 ans av. JC dans le Bassin Méditerranéen, ont des similitudes avec les courants hindouiste, jaïniste, shivaïste et bouddhiste, qui sont semble-t-il, encore plus anciens.

Ce qui m’a intrigué, c’est que toutes les religions et tous les courants spirituels, refusent la non-immortalité de quelque chose, et affirment un principe de continuité, un principe d’immortalité.

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